>>Washington renoncerait à l'engagement de ne pas attaquer les Etats non nucléaires

INTERVIEW EXPRESS de Bruno Barillot, directeur de l'observatoire des armes nucléaires françaises (et internationales) à Lyon (24heures)

-En admettant que les Etats-Unis fassent usage de l'arme nucléaire, à quoi assisterait-on exactement. A un nouvel Hiroshima en Irak ou ailleurs?
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Non, pas exactement. Déjà sous l'administration Clinton, les Américains ont mis au point un modèle d'arme nucléaire précis. En 1997, en Alaska, ils ont procédé à des essais avec une "mininuke", la B61-11, une arme de faible intensité, soit 15 fois moins puissante que la bombe d'Hiroshima. Les Etats-Unis en possèdent 55 exemplaires. La B61-11 est une refonte d'une ancienne tête nucléaire de forte puissance, qui a été transformée en une arme anti-bunker conçue pour pouvoir détruire une installation souterraine enfouie sous 300 mètres de granit. Une fois à cette profondeur, elles explosent au coeur de la cible. La B61-11 a été mise au point peu après la Guerre du Golfe. A l'époque, le Pentagone estimait que Saddam Hussein cachait des armes dans les sous-sol irakiens. Au début de la guerre en Afghanistan, Donald Rumsfeld n'avait pas exclu d'employer cette arme pour déloger Al-Qaïda et Ben Laden.
-Les Etats-Unis ont pensé l'utiliser en Afghanistan sans pourtant mettre leur menace à exécution. Aujourd'hui, dans des circonstances étranges, le Los Angeles Times rapporte que le Pentagone souhaite développer de nouvelles armes tactiques. Le risque de voir la première puissance mondiale lancer une attaque nucléaire est-il authentique?
-Il s'agit de l'éternel débat sur la dissuasion nucléaire. Pour qu'une arme nucléaire soit efficace, il faut qu'on puisse sérieusement menacer de l'employer. Le but étant de laisser son adversaire potentiel dans l'expectative. Politiquement, une telle décision implique des responsabilités considérables. Le fait d'inclure des armes nucléaires dans son arsenal à l'usage des champs de bataille n'a rien d'anodin. Venant de la part des Etats-Unis, il y a de plus quelques signaux inquiétants. Ils ont généralisé l'emploi de l'uranium appauvri dans toutes les catégories de munitions. Ils échappent ainsi à toutes les tentatives de réglementation internationale pour interdire l'utilisation de produits nucléaires à usage militaire. Des années cinquante aux années nonante, il y a eu des discussions internationales pour mettre sur pied une convention destinée à prohiber l'emploi d'armes dites radiologiques (n.d.l.r.: contenant des produits nucléaires). Comme par hasard, après la Guerre du Golfe, ce débat ne s'est pas poursuivi.
-Il y a donc bien des raisons de s'inquiéter.
-On peut constater une dérive des Etats-Unis qui songent de nouveau à l'emploi de l'arme nucléaire. Mais on ne peut qu'espérer qu'ils ne l'utiliseront pas. Comme d'ailleurs l'Inde et le Pakistan, et d'autres. Dans le cas contraire, on ferait un bond en arrière jusqu'à Hiroshima.

Nicolas Verdan / 24 heures

 

Selon un rapport du Pentagone, dévoilé par le Los Angeles Times, les stratèges américains envisagent des attaques nucléaires contre sept pays - la Chine, la Russie, mais aussi cinq pays officiellement dépourvus de l'arme atomique, Irak, Corée du Nord, Iran, Libye et Syrie - dans le cas d'une agression chimique ou biologique contre les Etats-Unis ou leurs alliés, ou dans celui «d'événements militaires surprenants».

Un rapport secret du Pentagone (ministère américain de la Défense), publié samedi 9 mars 2002 par le Los Angeles Times, a fait état de la préparation de plans d'urgence en vue d'une éventuelle utilisation d'armes nucléaires contre la Chine, la Russie, l'Irak, la Corée du Nord, l'Iran, la Libye et la Syrie. 
Le Pentagone a qualifié samedi les informations du Los Angeles Times de «fuites sélectives et trompeuses».
"Il faut voir dans quelle mesure ces informations sont conformes à la réalité», a pour sa part commenté le chef du service de presse du ministère russe des Affaires étrangères, Alexandre Iakovenko.
»Si elles sont exactes, comment les concilier avec les déclarations des Etats-Unis selon lesquelles ils ne considèrent plus la Russie comme un ennemi ?», s'est interrogé le responsable lors d'une conférence de presse. Tout en estimant que «toute spéculation sur ce thème serait contre-productive», M. Iakovenko a jugé qu'»il serait souhaitable d'obtenir la position exacte de Washington sur ce point». Le ministre russe de la Défense Sergueï Ivanov a quitté Moscou lundi pour Washington où il doit justement discuter avec ses interlocuteurs de désarmement et de lutte antiterroriste. Le ministre russe doit rencontrer son homologue Donald Rumsfeld, le secrétaire d'Etat Colin Powell, et la conseillère du président pour la sécurité nationale Condoleeza Rice, afin de préparer notamment le sommet Bush-Poutine prévu fin mai à Moscou.
Colin Powell et Condoleezza Rice se sont efforcés de calmer le jeu dimanche après les informations publiées par le Los Angeles Times, affirmant que le rapport ne faisait qu'énumérer les «options» à la disposition des autorités américaines. »Nous avons une large palette d'options pour défendre notre nation et défendre nos intérêts et ceux de nos alliés à travers le monde. Il ne faut pas se laisser aller à penser que les Etats-Unis se préparent à utiliser l'arme nucléaire en cas d'urgence, dans un avenir proche. Ce n'est pas le cas», a ainsi affirmé M. Powell.

Washington renoncerait à l'engagement de ne pas attaquer les Etats non nucléaires

WASHINGTON, 22 fév 2002 (AFP) - Le gouvernement américain n'est plus lié à l'engagement pris en 1978 de ne pas utiliser d'armes nucléaires contre des Etats ne disposant pas eux-mêmes de force de frappe nucléaire, a rapporté vendredi le Washington Times citant un haut responsable du département d'Etat.

L'engagement pris par l'administration du président Jimmy Carter, connu sous le nom d'»assurances négatives de sécurité», reflète «une vue irréaliste de la situation internationale», a déclaré au journal le secrétaire d'Etat adjoint américain chargé du désarmement et de la sécurité internationale, John Bolton.

»L'idée que les belles théories sur l'emploi des armes de dissuasion fonctionne contre tout le monde a été désavouée par le 11 septembre», a-t-il dit cité par le Washington Times. «Ce à quoi nous nous employons, c'est de créer une situation où nul n'utilise d'armes de destruction d'aucune sorte», a-t-il ajouté.

En cas d'attaque contre les Etats-Unis, «nous serions tenus de faire tout le nécessaire selon les circonstances, et la formulation classique de cela c'est que nous n'anticipons ni n'excluons rien», a-t-il poursuivi.

Le secrétaire d'Etat adjoint, qui répondait aux questions du Washington Times à l'issue d'un second round de négociations avec Moscou sur le désarmement stratégique, a affirmé au journal qu'il n'avait jamais évoqué les «assurances négatives de sécurité» avec les Russes.

L'engagement pris en 1978 par le secrétaire d'Etat du président Carter, Cyrus Vance, ne justifiait des attaques nucléaires sur des Etats non nucléaires qu'au cas où ces derniers seraient alliés avec des pays possédant un arsenal nucléaire.