Entretien fin août 2001 à Paris, suite à la vague d'arrestation dans les rang du Courant Patriotique Libre du Général Michel Aoun.

«Le Liban est en faillite»
Alors que le régime est tenté par une dérive autoritaire, l’ancien premier ministre en exil, le général Michel Aoun, dénonce la faillite politique et économique dans laquelle le gouvernement pro-syrien a plongé le pays en dix ans.
Sans être une résidence de ministre, l’appartement du général en exil Michel Aoun n’en est pas moins élégant avec ses vastes pièces aux lignes ornées de reliefs et ses fenêtres élancées vers de hauts plafonds blancs. Ce qui tranche pourtant dans ce cadre un peu Vieille France, c’est la modestie du mobilier et la nudité des murs. Pas de décoration hormis quelques plantes vertes, pas de touche personnelle. C’est que l’homme est de passage. Evincé du pouvoir lors de l’invasion syrienne de 1990, l’ancien premier ministre libanais n’a jamais déposé les armes. Ici comme à Marseille ou à Haute Maison, les premières terres d’accueil de son exil français, il n’a installé qu’un QG de campagne de plus. C’est de là qu’au début du mois d’août il a suivi, en direct et par portables interposés, l’arrestation de militants de son Courant patriotique libre (CPL) lors d’une rafle sans précédent opérée dans les rangs de l’opposition chrétienne. Deux cents personnes ont été arrêtés pour « atteinte aux relations avec un pays frère », en l’occurrence la Syrie dont ils demandaient le départ du Liban. Entretien.

- Les militants aounistes ont été parmi les premières cibles de ces arrestations. Pourquoi ?

- Ce régime ne tolère qu’une opposition de forme, de bavardage. Notre mouvement est le fer de lance des revendications indépendantistes d’une majorité de l’opinion publique, la force de la jeunesse, du changement. Nous tenons les universités et ils ont peur de toute force qui pourrait descendre dans la rue. De plus en plus de Musulmans adhèrent ouvertement à nos idées et ils ont voulu casser ce mouvement. C’est un échec.

- Ce sont pourtant uniquement des Chrétiens qui ont été arrêtés .

- Cela fait partie du jeu syrien pour entretenir l’illusion d’une division confessionnelle du pays. Il y avait des Musulmans parmi les opposants arrêtés. Ils ont été relâchés une heure après. Cette manoeuvre permet d’accréditer l’idée que la présence syrienne est nécessaire à la stabilité du pays. 

-  Le président Lahoud n’a-t-il pas aussi voulu réaffirmer son autorité dans sa querelle avec le premier ministre Hariri ?

-Il n’y a pas de querelle entre Hariri et Lahoud. Il y a une querelle entre le peuple libanais d’une part, le gouvernement et la Syrie d’autre part. Lahoud n’est qu’une coquille vide, un exécutant, un préfet syrien de plus. La répression a été ordonnée par Damas et nos militants ont été emprisonnés pour avoir exercé un droit constitutionnel. 

-Qu’en est-il du gouvernement ?

- Depuis le coup d’état de 1988, aucun gouvernement n’a été légitimé dans notre pays.  Ils ont été mis en place par la force. Le gouvernement actuel ne respecte même plus la Constitution. Il a modifié des lois électorales pour s’assurer une majorité, et pénale pour s’autoriser plus de répression. Aujourd’hui, les services de renseignements syriens noyautent toutes les institutions étatiques, de la Présidence au Gouvernement en passant par l’Assemblée nationale, l’armée, la sûreté générale ou les forces de sécurité. Il y a des passerelles vers la Syrie tout au long des chaînes de commandement au point que nous pouvons observer des mouvements de troupes armées libanaises, sans que le ministre de la Défense n’en ait été informé.

- Ce gouvernement jouit pourtant d’une reconnaissance internationale ?

- C’est sa seule force. Les pays étrangers ne sont pas disposer à sacrifier leurs intérêts politiques et économiques en coupant leur relation diplomatique avec le Liban. Mais notre résistance réserve notre droit.

- Hariri a engagé des réformes économiques et annonce une amélioration de la situation?

- Notre pays est ruiné. Le coût du service de la dette dépasse les recettes de l’état et nous sommes en faillite, même si elle n’est pas déclarée. Après avoir réalisé qu’il faut un minimum de convergence entre ses intérêts personnels et ceux de la nation pour gouverner, Monsieur Hariri tente désormais de privatiser alors que toutes les institutions d’état sont en faillites. Personne n’investit au Liban. Et comment pourrait-il en être autrement ? Les forces vives de la nation quittent le pays. Nous avons perdu près d’un tiers de notre population en dix ans. Qui investirait dans un pays que ses propres habitants continuent à fuir, dont les lois peuvent être modifiées sur un simple claquement de doigts syriens ? Dans ces conditions, quelles garanties peut offir un tel gouvernement ?

- Rentrerez-vous au Liban ?

- Oui. J’y pense tous les jours. Mais je ne veux pas militer en résidence surveillée. Je veux pouvoir agir pour mon pays. Le 9 août dernier, lors d’un conseil des ministres, Lahoud et son ministre de la Défense ont plaidé pour « l’élimination des Aounistes ». Ce sont des propos de faschistes. Aujoud’hui, 150 de nos militants sont en prison parce-qu’ils ont osé parler d’indépendance et de souveraineté du Liban, de retrait syrien et de libertés publiques. Mais nous continuons notre combat. Nous ne sommes pas des gens que l'on peut intimider.

P.V