L'Afrique de l'Est, une zone sous surveillance américaine
Contexte: au lendemain des attentats de Mombasa
INTERVIEW
JEAN-FRANÇOIS VERDONNET (Tribune de Genève et 24heures du 29
novembre)
L'Afrique de l'Est est « une zone sous haute surveillance américaine», rappelle Saïda Bédar*, chargée de recherches au Cirpes (Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d'études stratégiques, Paris).
- Des attentats se sont déjà produits à Nairobi et à Dar es-Salaam, le 7
août 1998, contre les ambassades américaines. Comment expliquez-vous la part
prise par cette région dans l'histoire récente du terrorisme international?
- Le terrorisme international est une nébuleuse aux acteurs et aux moyens
difficilement identifiables: des groupes politiques, mais aussi des mafieux et
des mercenaires en contact avec l'action «couverte» des différents services
secrets. Il est assez logique que de tels mouvements «gris» aient pour bases et
pour «terrains d'action» privilégiés des régions où l'interaction entre ces
différents acteurs est grande.
- L'ambassadeur du Kenya en Israël accuse Al-Qaida. Que vaut ce type
d'accusation? Que sait-on du réseau d'Al-Qaida en Afrique de l'Est?
- A ce jour, il est difficile de faire le bilan de ce qui reste d'Al-Qaida, ni
même de ce qu'il a pu vraiment représenter. Le moins que l'on puisse dire, c'est
qu'il s'agit d'un acteur ubiquitaire qui a pour effet (paradoxal) d'unir la
coalition de la guerre globale au terrorisme et qui permet une emprise
sécuritaire sans précédent des Etats-Unis (FBI et militaires) dans certains
Etats (Afghanistan, Indonésie, Yémen).
- Que représentent le Kenya, et de manière générale, l'Afrique de l'Est, dans
la vision géostratégique des responsables américains? Quelle place occupent-ils?
- L'Afrique de l'Est est une région voisine du Moyen-Orient et fait partie
de l'aire opérationnelle du Commandement combattant américain pour l'Asie du
Sud-Ouest (Proche-Orient, Golfe, Asie centrale), le Central Command. Elle
constitue donc une plateforme de déploiement vers le Golfe: à ce jour, plus de
60 000 hommes sont déployés dans la zone, et de nombreux moyens de
renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) ainsi que de
commandement et contrôle (C2). Si on ajoute la forte présence du FBI, on
comprend que la région est une zone sous haute surveillance américaine. A terme,
il s'agit de sécuriser le grand ensemble régional nommé «Grand Moyen-Orient» qui
va du Maghreb à l'Asie centrale (et englobe la corne de l'Afrique), pour y
permettre le développement d'un ensemble économique régional (ouverture aux
capitaux privés, libre-échange, interconnexion des infrastructures routières,
transportuaires et de télécommunications).
- Peut-on faire un lien entre ces attentats et l'actuelle politique
américaine envers l'Irak?
- C'est Israël qui a été visé. On peut penser que cela implique une
éventuelle participation israélienne directe plus ouverte que prévu dans la
guerre contre l'Irak (à ce jour le soutien israélien s'exprime en termes de
renseignement, notamment par des opérations de reconnaissance dans l'Ouest
irakien, par du prépositionnement de matériel américain, et par de l'encadrement
des troupes US pour le combat en zone urbaine): on peut imaginer des frappes
aériennes contre les systèmes de missiles susceptibles d'atteindre le territoire
israélien.
-Vous attendez-vous à une riposte israélienne? Quels peuvent être les effets
de ces attentats sur les relations particulières entre Israël et les Etats-Unis?
- Si Israël a repéré des cibles précises dans la région (camps
d'entraînement), il peut riposter par des frappes aériennes. Les relations
israélo-américaines n'en seront pas affectées. A terme, Israël aura un rôle plus
important dans la sécurisation de la région: la création de l'Etat palestinien
d'ici 2005 aura normalisé sa position internationale; ses capacités en moyens de
renseignement, de surveillance et de reconnaissance sont parmi les plus
performantes; elles s'intègrent au système stratégique américain et peuvent
aussi s'étendre aux acteurs régionaux et aux investisseurs; plus cyniquement
encore, son modèle de guerre urbaine de basse intensité pourra être exporté dans
la région.
-Après Bali, après les Philippines, le Kenya, quel rapport ces foyers de
terrorisme entretiennent-ils entre eux?
- Il est évident que nous avons affaire à une campagne de terreur, mais il
est impossible de déterminer avec exactitude par qui elle est orchestrée.
Complément: à lire de Saïda Bedar: «Infodominance et globalisation», dans «Guerre et stratégie», Les Cahiers du Numérique, vol. 3, No 1-2002, Hermès, Paris 2002. Et (sous sa direction): «Vers une «grande transformation» stratégique américaine?, Le débat stratégique américain 2000-2001», Cahier d'études stratégiques 31, Cirpes, Paris, novembre 2001.