De Wes Craven à George Bush

27/06/2006 Film exutoire d’une Amérique égarée au sortir de la boucherie vietnamienne, La colline a des yeux (1977)  de Wes Graven (Les griffes de la nuit, Scream) avait suscité les foudres horrifiées d’une critique dépassée par l’enfer sanglant d’un « meat movie » dénoncé comme « abject », « répugnant », « véritable incitation au crime ». L'histoire du film, dont un remake sort actuellement sur les écrans*, tient en quelques mots: une gentille petite famille toute blanche et chrétienne a la mauvaise idée de planter sa caravane au pied d’une colline hantée par une bande de dégénérés cannibales. Très logiquement, les cannibales bouffent une partie de la gentille famille dont l’un des survivants finit par verser lui-même dans la barbarie la plus crasse pour assouvir sa vengeance.
Invraisemblable? Wes Graven s’est pourtant appuyé sur un fait divers qui s’est déroulé au XVe siècle dans la région de Galloway en Ecosse. Fuyant la pauvreté, Sawney Bean s’était réfugié avec sa femme dans une grotte où, manquant sans doute de distractions, ils firent une quinzaine d’enfants qui en firent d’autres à leur tour jusqu’à former une tribu de 38 membres plus ou moins tarés. Et toute la petite troupe de régresser jusqu’à l’ultime sauvagerie puisque les voyageurs de passage leur fournissaient l’essentiel de leur apport en protéines. Le cauchemar étant parvenu aux oreilles du roi, 400 soldats avaient été dépêchés sur place pour ramener la famille Sawney à la ville. Sans procès, les mâles furent passés à tabac, torturés et, enfin, on leur trancha les pieds en les laissant se vider de leur sang. Les femmes, d’abord obligées d’assister aux sévices, furent brûlées vives sous les acclamations d'une foule rassurée. La réponse de la « civilisation » à la sauvagerie fut donc une surenchère dans l’abject. La victime avait tombé le masque de la vertu pour répondre à la barbarie par une barbarie redoublée, appliquée sans discernement. La principale victoire du Mal, si l’on peut dire, étant moins ici d’avoir gratuitement détruit des vies innocentes que d’avoir forcé la « civilisation », le Bien donc, à jouir à son tour du carnage, à sombrer dans la fange pour y laisser triompher sa propre noirceur.
Et c’est bien sûr ici que le lien avec l’Amérique de George Bush saute aux yeux. Paré du masque de la vertu, une main sur la Bible, c’est en invoquant la défense de la liberté, la tolérance, les valeurs chrétiennes, la démocratie, Dieu et tous ses saints que le cabinet Bush a répondu à la barbarie du 11 septembre par une barbarie redoublée dont ont connaît en gros les ravages: plusieurs milliers de civils tués en Afghanistan, plus de 100'000 en Irak, la chute de l'épouvantable régime taliban et de la dictature de Saddam Hussein ne représentant somme toute que des "bénéfices collatéraux". A la sauvagerie de la décapitation filmée de Nicolas Berg, l’Amérique de George Bush a encore répondu par la décapitation virtuelle des détenus de la prison d’Abou Ghraïb, la tête enfoncée dans leur sac en papier, le corps maculé de leurs propres excréments, soumis aux tortures, aux sévices sexuels, aux humiliations.
Dans sa guerre contre la terreur, le camp autoproclamé du Bien agit donc ici à l’exact opposé de ce qu'il prétend être, se jetant à corps perdu dans une sauvagerie moyenâgeuse qui, cinq siècles après le sanglant épisode écossais, n'incite pas à l'optimisme.
* Un remake du film culte de Wes Craven, réalisé par Alexandre Aja (Haute tension) à la demande du maître, vient de sortir.