23 juillet 2003

Contexte: Sharon ordonne le largage d'une bombe d'une tonne sur Gaza, tuant 15 personnes, dont 8 enfants (dont 2 bébés).

Il faut stopper le soldat Sharon

«La guerre d'indépendance
de 1948 n'est pas achevée
»

13/01/2003
En novembre 2001, un diplomate français m'avait déclaré en substance, sous couvert d'anonymat, que le gouvernement Sharon avait décidé la déportation des Palestiniens en Jordanie. A l'époque, j'avais cru à un excès de pessimisme même si, à peine élu, le «Boucher de Beyrouth» (comme le surnomme les Libanais depuis les 15'000 morts de l'invasion du Liban en 1982), avait bel et bien annoncé que «la guerre d'indépendance de 1948 n''était pas achevée. Non. 1948 n'était qu'un chapitre». Les douze mois écoulés m'ont donné tort. Attentat palestinien ou non, Sharon a poursuivit des opérations de plus en plus criminelles (>>1 / >>2 / >>3 / >>4 / >>5) dans les territoires, terrorisant la population pour la pousser à l'exil (85% des 2000 Palestiniens tués depuis le début de la deuxième Intifada étaient civils), détruisant méthodiquement les infrastructures étatiques et l'Autorité palestiniennes, accélérant au pas de charge la colonisation, progressant sans relâche dans la reprise de contrôle militaire des territoires. Bref, Sharon n'a fait, depuis sa visite provocatrice sur l'Esplanade des Mosquées, qu'appliquer un plan de conquête désormais parfaitement lisible sur le terrain et qui, surtout, n'a que peu à voir avec la prétendue autodéfense invoquée.
La chronologie des événements de ces deux dernières années (plus particulièrement la régularité et l'ampleur des offensives ou des attaques déclenchées dans les périodes d'accalmie) démontrent même que la tactique Sharon consiste à redynamiser, quand le besoin s'en fait sentir, l'engrenage attentats-répression nécessaire à sa politique.
Le ridicule plan de paix récemment proposé par le vieux général (une souveraineté palestinienne sur 40% de la Cisjordanie et les trois-quarts de la bande de Gaza), donne d'ailleurs la juste mesure des bénéfices qu'il pense avoir tiré de deux ans de cette politique du pire, encouragée par l'actuelle direction étasunienne.
Auteur du film «après Jénine», Jenny Morgan témoignait du fait que certains journalistes israéliens parlent de deux plans sur la table de Sharon. L'un maximal, avec déportation des Palestiniens à la clé, l'autre étant, grosso modo, celui cité plus haut. La question n'est donc même pas de savoir jusqu'où Sharon veut aller, mais bien jusqu'où la fameuse «communauté internationale» le laissera aller.
D'aucuns pensent que les supers-faucons du cabinet Bush envisagent ni plus ni moins qu'un remodelage complet du Moyen-Orient à la faveur d'une guerre initiale contre l'Irak (>>1 / >>2 / >>3), et qu'un volet proche-oriental de l'opération serait dès lors confié à Sharon.
(Brève du 10.12.2002, ajouts le 13.01.2003)

Le 8 avril 1948, Menahem Begin pénétrait dans le petit village palestinien de Deïr Yassin à la tête des terroristes juifs de l'Irgoun. 200 civils, hommes, femmes, enfants et vieillards étaient froidement exécutés. Cinq ans plus tard à la tête de sa fameuse «unité 101», c'est Ariel Sharon qui imprimait sa marque dans le conflit israélo-palestinien naissant lors du massacre de Qibya. 45 maisons dynamitées avec leurs habitants. Soixante-neuf civils tués, pour moitié des femmes et des enfants. L'Etat d'Israël naissait par la terreur en prenant ses aises par le glaive et le feu sur une terre où il y avait bel et bien un peuple. Dans le tumulte des armes qui n'a jamais cessé depuis, le nom d'Ariel Sharon, sioniste obsédé par le rêve d'un Grand Israël, aura ensuite été associé aux pires atrocités.

Des tueries de civils aux «scores» sanglants de ses batailles d'officier, jusqu'à la centaine de Palestiniens sommairement liquidés en 1970, Sharon n'a montré de véritable talent que dans la pratique d'une violence exercée, dès le début de sa carrière, au mépris des lois de la guerre et de la vie. «Arik n'a jamais achevé une opération avec moins de plusieurs dizaines de tués dans les rangs de l'ennemi», avait un jour confié Moshe Dayan à un Ben Gourion inquiet (Le Monde Diplomatique, novembre 2001, p 23). Une brutalité poussée à son paroxysme lors de l'invasion du Liban et du siège de Beyrouth, en 1982. Alors ministre de la Défense sous Begin, Arik avait assiégé et pilonné la capitale libanaise pour «en finir avec l'OLP». Un bilan monstrueux: plus de 15'000 morts, Libanais et Palestiniens. En tout, il y aura plus de 27'000 tués, blessés ou mutilés, dont onze mille enfants de moins de douze ans, selon un décompte de l'UNICEF. Puis ce sont les massacres de Sabra et Chatila alors que Tsahal a investi Beyrouth-ouest. Sharon était dans son QG de Beyrouth près de l'ambassade du Koweit, avec vue sur les camps. Et c'est lui qui ordonnera au tueur sanguinaire des phalangistes libanais, Elie Hobeika, d'entrer dans les camps. La commission d'enquête Kahane attribuera une «responsabilité indirecte» à Ariel Sharon dans ce massacre où périrent entre 1000 et 3000 Palestiniens.

Avec sa visite provocatrice sur l'Esplanade des Mosquées, le Sharon d'aujourd'hui porte encore cette «responsabilité indirecte» dans le déclenchement d'une deuxième Intifada aussi légitime que la première. Un soulèvement survenu, comme le premier, après des années de guerre larvée, de spoliations, de destructions (7000 maisons depuis 1967), de colonisation au mépris des accords signés (34 nouvelles colonies depuis l'élection de Sharon), d'exécutions sommaires, de punitions collectives et de tortures (Israël n'a officiellement renoncé à la torture qu'en 1999). En 1987, le premier Intifada avait été réprimé dans une violence inouïe, 1000 morts, et l'on avait même ordonné à Tsahal de briser les os des Palestiniens. Ce qui fut fait.

Sûr que, tout ce temps, le terrorisme des nationalistes palestiniens aura répondu jusqu'à l'abject au terrorisme juif, puis au terrorisme d'Etat israélien. Pourtant, dans ce cycle infernal, Israël reste, de fait, l'occupant, l'oppresseur, l'agresseur, rendant la résistance palestinienne héroïque compte-tenu du déséquilibre des forces en présence. Présenter aujourd'hui les actions de Tsahal comme de l'auto-défense tout en réduisant les attentats palestiniens à un simple terrorisme aveugle relève de la malhonnêteté intellectuelle. Dans un discours à la chambre des Communes (The Guardian, 17 avril), un parlementaire du Parti travailliste britannique, Gerald Kaufman (principale personnalité politique juive outre-Manche), condamnant sans équivoque les attentats-suicides palestiniens, avait oser affirmer qu'il était «important de se demander pourquoi les Palestiniens utilisaient ces méthodes. Nous devons nous demander comment nous nous sentirions si nous avions été occupés durant 35 ans par une puissance étrangère qui vous refuse les plus élémentaires droits humains et des conditions de vie décentes.» Et il faut effectivement se demander aujourd'hui quel peuple, dépouillé de sa terre, refoulé dans des camps, soumis en permanence à des blocus criminels; quel peuple, voyant ses femmes accoucher aux check points de l'occupants, ses enfants massacrés ou tirés comme à la foire; quel peuple, constatant enfin sa souffrance ignorée, niée, banalisée, ses droits soustraits par la violence et l'apartheid dans l'indifférence générale; quel peuple n'aurait pas vu les plus désespérés des siens se jeter à corps perdu dans la terreur, dans l'assassinat. «Donnez des F-16 aux Palestiniens et il n'y aura plus d'attentats suicide», résumait un journaliste français rencontré à Jérusalem en juin dernier.

Aujourd'hui, dans l'inaction coupable d'une Europe politique égarée, et avec le soutien criminel du cow-boy américain, Ariel Sharon poursuit un objectif qui dépasse de loin celui de la sécurité promise pour Israël, et qui n'a que peu à voir avec l'auto-défense invoquée. A l'heure où la pseudo guerre contre le terrorisme fournit le prétexte à l'entier des faucons de la planète de sortir l'artillerie lourde, Ariel Sharon voit simplement son vieux rêve d'un Grand Israël tout à coup à portée de main. A portée de canon. Mais seule les attentats palestiniens peuvent justifier un tant soit peu sa politique sur la scène internationale. Et la tuerie perpétrée le 23 juillet à Gaza s'inscrit dans cette stratégie de pourrissement dont personne ne peut plus dire jusqu'où elle nous conduira.
 «La guerre d'indépendance de 1948 n'est pas achevée. Non. 1948 n'était qu'un chapitre», avait annoncé le général Sharon au lendemain de son élection dans le Ha'aretz.