Danger et espérance d’une agonie

Les vertus du désordre
Quelles que soient leurs filiations politiques supposées, les mouvements qui secouent aujourd’hui la planète-Système – des Indignés grecs ou espagnols en passant par Anonymous jusqu’à Occupy Wall Street–, ont ceci en commun de n’avoir aucune revendications précises, ou d’en avoir mille, ce qui revient au même. Du coup, ils sont insaisissables, impénétrables, inattaquables.

Or selon les commentateurs éclairés de la presse-Pravda, cette absence de revendications précises est la faiblesse supposée qui doit inévitablement les condamner à l’essoufflement puis à l’oubli.

Or c’est exactement l’inverse que l’on observe puisque «la faiblesse du mouvement comme garantie de son échec assure son succès».

Aujourd’hui, aux USA par exemple, comme le relève Philippe Grasset, «tout le monde ne parle que d’Occupy Wall Street, alors que le mouvement n’a rien exigé, n’a rien obtenu et a déplacé des masses extrêmement faibles de protestataires».

Le problème des commentateurs de la presse-Pravda est donc celui du Système : ils n’ont pas de repères ni pour commenter ni pour contre-attaquer des mouvements sans hiérarchie, sans idéologie qui n’existent que pour ce qu’ils sont : c'est-à-dire un simple mais immense et fabuleux cri de rejet anti-Système.

Un cri qui dit en substance à tous les prédateurs de la finance qui spéculent sur la vie; à tous les Conseil d’Administration des multinationales mortifères qui ravagent la planète ; à tous les politiciens vendus et achetés qui tuent tout espoir, bref, aux serviteurs zélés du capitalisme destructeur : «On n’en a rien à foutre de savoir pas quoi on va remplacer votre machine. L’urgence pour notre humanité, c’est de se débarrasser de vous,  de vous empêcher de nuire davantage».

Les vertus du désordre vous dis-je !

13/10/2011 Les «surmorts» qui président aux destinées du Système américano-occidental sont aux abois. La déstabilisation en cours de la Syrie , avec l’Iran en ligne de mire, laisse craindre une fuite en avant potentiellement dévastatrice. Mais des forces structurantes et citoyennes sont à l’œuvre. Tentative de décryptage.


Acte 1

Avec les attentats du 11 Septembre, l’objectif était clairement de créer une rupture, un trou dans le continuum historique qui permette de refonder la légitimité du Système américano-occidentaliste, et de sa contre-civilisation, alors déjà en phase d’effondrement (1).
Le caractère monstrueusement spectaculaire de l’évènement, sorte de « shock and awe » planétaire, devait ainsi imprimer dans les esprits le point de départ d’une nouvelle séquence historique où le Système, brandissant l’auréole de sainteté des victimes de la barbarie, se trouvait enfin libéré de tous les freins et de toutes les contraintes imposées jusque-là à l’affirmation de sa domination, au déchaînement mécanique de sa force et de son pouvoir bref, à sa survie en tant que Système fondé sur l’idéal de la puissance.
Le message du Système était parfait : «Les forces du mal nous attaquent. Cela prouve que nous sommes vertueux. Hors nous, point de Salut. Aussi abominables soient-ils, nos crimes à venir seront donc vertueux également.»
Une formidable prison idéologique sensée garantir le renouveau et la pérennité du Système s’était alors refermée sur les esprits avec le fameux mot d’ordre «Tous Américains», qui voulait simplement dire : «Tous prisonniers du Système».

Acte 2
L’opération a été de prime abord un succès.
Libéré et flanqué d’une caution impossible à contredire face à la machine de propagande du Système, la nouvelle séquence historique a permis un déferlement de violence et de guerres pensées à l’origine pour asseoir définitivement la domination du Système sur ses anciens adversaires et aboutir à ce fameux monde unipolaire si cher à Rumsfeld et consors.
Sauf que le Système, enfin autorisé à laisser libre cours à sa nature profonde dans un déchaînement hystérique de sa puissance, n’a fait qu’accélérer et accentuer tous les facteurs de son déclin dans un mécanisme presque naturel d’autodestruction.

Acte 3
Les crises, financières, économiques, humanitaires se succèdent désormais à un rythme effréné ; le désordre s’est désormais installé (lire encadré), et la crédibilité des « surmorts » (1) qui président aux destinées du Système est désormais ruinée. Des Etats et groupes d’Etats (BRIC / Chine / Russie / Amérique du Sud / pays émergents) se rebellent de plus en plus souvent et refusent de cautionner plus avant cette fuite en avant justement. Même les menaces et rétorsions deviennent souvent inopérantes.
Au sein des peuples, les Indignés se lèvent ; les révoltes se multiplient et grondent à travers le monde (2008: 270 émeutes, tous continents confondus. 2009: 540 émeutes. 2010:1'238 émeutes. Août 2011: déjà plus de 1'100 émeutes); le rejet est presque total. Le Système et sa contre-civilisation connaissent à la fois une faillite financière et idéologique.

Acte 4
Poussé dans les cordes, le Système n’en est provisoirement que plus dangereux.
Avec la déstabilisation en cours de la Syrie , son harcèlement de l’Iran au travers d’accusations de plus en plus grotesques, on observe une fuite en avant potentiellement dévastatrice. Avec, peut-être, confusément d’ailleurs dans les esprits malades des «surmorts», la tentation secrète de recréer une nouvelle rupture, un nouveau trou dans le continuum historique au travers d’une guerre de grande ampleur, contre l’Iran par exemple, et qui pourrait, pensent sans doute les idéologues de la Machine , redistribuer les cartes et prolonger la survie du Système.
Sauf qu’aujourd’hui, la perte de crédibilité des hérauts du Système est telle, qu’elle rend ce type d’opérations beaucoup plus difficile à mettre en œuvre.
Et désormais, les forces structurantes à l’œuvre, c'est-à-dire les forces anti-système, les forces du désordre et du rejet, étatiques ou citoyennes, sont là pour  épuiser le Système et peut-être l’accompagner, dans une lente étreinte, jusqu’à son étouffement définitif.
Espoir donc.

(1) Deux auteurs notamment ont observé très tôt l’irrémédiable déclin de cette contre-civilisation fondée sur la consommation.
En 1955, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss écrivait dans Tristes Tropiques: «La civilisation n’est plus cette fleur fragile qu’on préservait, qu’on développait à grand-peine, dans quelques coins abrités d’un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur vivacité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat
Dans une lettre datée de mai 68, l’écrivain et poète suisse Maurice Chappaz écrivait : «J’ai localisé le pouvoir réel, brutal dans l’économie et vu les velléités, les complicités, les mensonges, le blanc qui devient noir dans les partis politiques, tous les partis. Et le social a comporté pour moi un élément de dégoût que tu ne peux imaginer : le nazisme. Le commercial totalitaire le ressuce en lui : cette tuerie d’arbres, de phoques, cet empoisonnement de l’air, des eaux, ces massacres divers et cette propagande, cette réclame pour l’englobant industriel, le « progrès » carrément détachés de l’humain. Les vrais parasites modernes ne sont pas les clochards, les beatniks, mais justement les activistes de la construction inutile, du gaspillage des sources et des ressources, spéculateurs, menteurs en tous produits et appétits. Nous connaissons aussi ces volontés de puissance à l’œil parfois très intelligent de Surmorts, qui délèguent aux fonctions publiques les bureaucrates, des types, des espèces de chauves graisseux moins costaux qu’eux-mêmes. Les Surmorts ont besoin d’otages, de médiocres qui limitent toujours un pays aux affaires. »