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Le 3 septembre 1989, sachant que la diplomatie américaine était entrain  d'intervenir auprès de la Troïka par le truchement d'une rencontre entre le Prince Saud-el-Faysal, fils du Roi Fahd d'Arabie Saoudite, et le secrétaire d'Etat américain James Baker, le général Michel  Aoun déclara que l'Amérique s'apprêtait à vendre le Liban à la Syrie.
Ce qui suit est la transcription d'une conversation entre James Baker, secrétaire d'Etat américain, et le prince Saud, fils du roi Fahd d'Arabie Saoudite. Source: sympathisant aouniste en place à Washington. Document obtenu à Beyrouth en 1989.
"La transcription suivante est celle d'une récente conversation entre le Secrétaire d'Etat James Baker et le Prince Saud Al-Faysal, et provient d'une source sûre à Washington".

James Baker
: Bienvenue à Votre Altesse Royale à Washington. J'espère que Sa Majesté, le Roi Fahd est en bonne santé.

Saud el-Faysal
: Oui, Dieu merci, et comment allez-vous ces jours-ci ? 

B. Très bien, merci. Votre Altesse, nous allons parler maintenant du problème libanais qui, je crois, est la raison pour laquelle vous êtes venu me voir. Nous avons étudié le rapport que vous et vos collègues algériens et marocains avez présenté aux dirigeants de la ligue arabe. Cela nous a beaucoup gêné qu'il ait été publié dans la presse. Ce rapport semblerait montrer que la présente impasse soit due au gouvernement syrien.

 S. En fait, nous n'avions pas l'intention de le publier mais notre ami palestinien, le Président Arafat lui-même, l'a communiqué clandestinement à un journal palestinien. Sa Majesté le Roi Fahd en a été très fâché.

 B. Ici à Washington, nous désirons vivement que la Ligue arabe poursuive sa mission. J'espère que vous allez reconsidérer votre position et commencer de nouvelles négociations avec les différentes parties. Pouvez-vous donner votre opinion personnelle sur la position syrienne ?

 S. Eh bien ! le Président Assad est très sensible à la situation libanaise. Il a la sensation que la Ligue arabe s'immisce dans les intérêts syriens au Liban et il soupçonne les gouvernements arabes de s'allier à l'action du général Aoun pour chasser la Syrie hors du Liban. Il dit aussi que votre gouvernement ne l'aide pas assez.

 B. Qu'est-ce qu'il aimerait que nous fassions ?

S. Il pense que vous soutenez aussi le général Aoun. Par exemple, lorsque M. Murphy était allé à Damas et à Beyrouth, il s'était très bien entendu avec les Syriens, spécialement avec M. Khaddam. Ils étaient d'accord sur les chances qu'il pouvait y avoir au Liban et sur le choix du nouveau président. Ensuite lorsque les Libanais chrétiens ont commencé à s'opposer, Murphy s'est rétracté et il a même admis qu'il avait fait une erreur en choisissant Daher comme président. Après cela, vous avez envoyé un nouvel ambassadeur, M. Macarthy, je crois, et celui-ci a déclaré que les forces syriennes devaient se retirer du Liban.

 B. Nous ne lui avons jamais ordonné de dire ça mais vous savez, Macarthy, quelquefois, dit tout ce qui lui passe par la tête, mais nous lui dirons d'être ferme avec Aoun. Au fait, que pensez-vous de cet Aoun ?

S. Nos amis du Liban nous ont dit qu'il était très populaire, même dans la communauté Chiite. Pas avec Nabih Berry bien sûr, ni avec le Hezbollah, mais vous savez ce que nous pensons d'eux. Aoun demande que tout le monde quitte le Liban, y compris les Israéliens et il a créé une sorte de nationalisme libanais que nous n'avions jamais vu auparavant. Au fait, lorsque nous l'avons rencontré à Tunis - et Sélim Hoss était aussi là - nous avons tous préféré Aoun. Il ne parlait pas comme un chrétien mais comme un Libanais et un Arabe, mais M. Hoss essayait d'attirer notre sympathie pour les musulmans. Nous pensons que la communauté musulmane libanaise devrait avoir plus de pouvoir, mais nous préférerions qu'ils arrivent à une entente avec les chrétiens sans utiliser l'armée syrienne pour forcer les chrétiens à faire des concessions.

 B. Cela me semble très sage mais j'aimerais que vous compreniez notre position ; cet Aoun a gâché tous nos plans. Nous comptions faire avancer les Palestiniens et les Israéliens dans le règlement de leur problème. Nous avions encouragé l' Intifâda en lui faisant le maximum de publicité dans les médias, et nous avions commencé à dire aux Israéliens qu'ils devraient proposer quelque plan ou autre, pour les élections futures, faire quelque chose quoi... Et alors Aoun fit sauter le Liban, et tout le monde commença à parler de ce qui se passait par là-bas au détriment des Palestiniens et de l' Intifâda. Ce que nous voulons, c'est nous décharger du Liban mais il faut nous donner du temps.

S. M. le Secrétaire d'Etat, du temps pour faire quoi ?

 B. Eh bien ! Votre Altesse Royale, je ne pense révéler aucun secret, mais vous devez comprendre que le Président Bush n'aime pas qu'on le presse à faire les choses. Il ne cesse de dire à la Maison Blanche: "Donnez-moi du temps, Messieurs, donnez-moi du temps". C'est pourquoi nous essayons tous de lui donner ce qu'il demande, malgré le fait que nous ne soyons pas très sûrs de ce qu'il en fait. En ce moment, il ne veut pas entendre parler du Liban, ni même des Palestiniens, il veut gagner cette guerre de la drogue contre les Sud-Américains.
 S. Si je vous comprends bien, vous aimeriez que la Ligue arabe règle le problème libanais et reste en dehors des Nations Unies où votre gouvernement aurait pu prendre position.
 B. C'est exact ! Nous avons dit au gouvernement français et au Secrétaire général des Nations Unies qu'ils encourageaient trop les Libanais, je veux dire Aoun et son peuple, et nous leur avons demandé d'arrêter, alors la flotte française a déguerpi et est retournée à Toulon assez rapidement (il rit très fort); et nous n'avons rien reçu de Perez de Cuellar depuis. Ce type porte chaussure trop grande à son pied...
S.
Notre problème, Monsieur le Secrétaire, est que les Syriens nous disent qu'ils ne feront aucune concession au Liban tant que le général Aoun les combattra. En fait, leur but principal est de se débarrasser d'Aoun à n'importe quel prix. Khaddam nous a dit que si Aoun s'en allait, ils coopéreraient avec les chrétiens.
 B. Que feront-ils de Walid Joumblatt ? Nos hommes à Beyrouth nous disent qu'il veut jeter les Maronites hors du pouvoir.
S.
Je ne pense pas que Joumblatt soit un obstacle aux Syriens ; en fait j'ai entendu dire qu'ils en avaient marre de lui, ainsi que plusieurs gouvernements arabes. Maintenant il reçoit de l'argent des Iraniens car Kadhafi a cessé de le payer.
 B. A propos, puisque nous parlons des Iraniens, comment vous et vos collègues algériens et marocains voyez leur position ?
S.
Nous ne l'aimons pas. Vous savez les ennuis que nous avons avec les Iraniens dans notre pays. Nous avons dit au Président Assad que nous pensions qu'il devait plus les contrôler au Liban, mais il a répondu qu'il ne peut pas, car il a besoin de l'argent iranien et du pétrole.
 B. Maintenant que nous aidons les Syriens à trouver du pétrole et à l'extraire, ils ne devraient plus dépendre des Iraniens.
S.
Leur problème est qu'ils sont au bord de la faillite maintenant, et ne peuvent pas attendre. Si nous leur coupons les vivres, ils vont s'effondrer.
B. J'espère que votre gouvernement ne pense pas à cela. Je ne pense pas que notre Congrès voudra augmenter notre aide à la Syrie, vous savez, nous avons quelques Sénateurs et Députés qui ne cessent de parler de l'implication de la Syrie dans le terrorisme et le trafic de drogue ; nous essayons de les faire taire, comme dans l'affaire Lockerbie, mais nous ne pouvons pas toujours les contrôler.
S.
En fait, jusqu'à un certain point, les Syriens nous ont dit que si nous leur donnions assez d'argent, ils s'en iraient de Beyrouth, au moins pour un temps.
 B. Combien ont-ils demandé ?
S.
Deux milliards de dollars, mais nous leur avons dit que nous ne pouvions pas tout payer en un seul versement, qu'il nous faudrait quatre à cinq ans.
 B. A mon avis, il ne faut pas payer pour qu'ils sortent de Beyrouth. S'ils font ça, nos hommes à Beyrouth nous ont dit que les unités de l'armée libanaise de l'ouest se joindraient aux gens du général Aoun, et cela nous mettrait dans une très fâcheuse situation.
S.
En fait, une des principales objections des Syriens à nos propositions est l'idée qu'ils devront quitter Beyrouth en laissant l'armée libanaise prendre le pouvoir. Ceci est la dernière chose à laquelle ils voudraient penser.
 B. Notre Administration, ici à Washington, espère que vous pourrez convaincre les Syriens à être plus souples. Notre nouvel ambassadeur à Damas leur a dit que s'ils acceptaient d'être plus souples, nous veillerions à ce que leur position soit favorable. Je veux dire que nous ne les presserons à quitter le Liban que lorsqu'ils le voudront.
S.
Au sujet des Israéliens, insisterez-vous pour qu'ils quittent le Sud-Liban ?
 B. Seulement si les Syriens nous le demandent. Au fait lorsque notre ambassadeur a parlé de cela avec Khaddam, il y a quelques semaines, Khaddam lui a dit que son gouvernement ne désirait pas que les Israéliens quittent le Sud-Liban d'une part, et qu'ils ne se font pas à l'idée qu'Arafat et ses gens prennent le pouvoir des Israéliens. D'ailleurs nous avons un soupçon - mais c'est seulement un soupçon - que tout va bien avec Israël ces temps-ci. Aussi longtemps que les Israéliens sont au Liban, ils ont une excuse pour rester aussi. De toute façon, nous avons l'impression que maintenant les Syriens sont plus préoccupés par les Irakiens que par les Israéliens.
S.
Vous savez bien ce que nous ressentons pour les Irakiens...
B. Pouvons-nous résumer notre discussion de ce jour ? Nous voulons que vous réactiviez la mission de la Ligue arabe et nous comptons personnellement sur vous pour ce faire. Nous ne sommes pas trop sûrs de ce M. Ibrahimi ; les Algériens nous ont bien servis par le passé, mais M. Ibrahimi ne semble pas aimer les types de Damas, et nous ne voulons pas qu'il les contrarie plus que nécessaire. Nous vous suggérons de faire un nouveau plan de paix et d'enlever les clauses qui ennuyaient le Président Assad, je veux dire à propos de quitter Beyrouth et au sujet de la souveraineté du Liban. Si vous arriviez à faire cesser les combats pour que le Liban ne fasse plus les grands titres, nous n'aurions plus les sénateurs Mitchell et Helms invoquant tous les saints de l'enfer - excusez mon langage, Altesse -. Il faudrait aussi que vous arriviez à ce que ce Aoun ne soit plus dans nos pattes et que ces députés libanais choisissent un nouveau président. Cela nous est égal que ce soit celui-ci ou celui-là ; n'importe qui mais pas Aoun. Alors nous vous en serons reconnaissants, ainsi qu'à votre gouvernement.

S.
Je ferai de mon mieux. Mais mon impression est que le peuple libanais ne sera pas aussi facilement contrôlable que par le passé. Le général Aoun semble avoir préparé un nouveau consensus parmi eux, et ils supportent tous son appel à la libération. Mais je ferai de mon mieux.
 B. Merci, Altesse, et transmettez nos meilleurs vœux à Sa Majesté, le roi Fahd ; dites-lui que nous espérons le voir bientôt à Washington.