Farce européenne
27/05/2014 «Choc», «séisme», «tremblement de terre» : toute la
presse-Système subventionnée y est allée de sa métaphore apocalyptique
pour s’horrifier de la percée des extrêmes lors des élections
européennes, et plus singulièrement de celle du FN en France. Trémolos
dans la voix ou tics nerveux dans l’œil, tous les apparatchiks français
ont alors juré comprendre l’«avertissement
des électeurs»; juré qu’ils allaient ramener le
so called «projet européen»
sur les rails, sans que l’on sache trop lesquels d’ailleurs. Dans une
allocution qui a confiné au burlesque à force de se vouloir
volontariste, Flamby-la-Poire aura finalement synthétisé à merveille
toute cette bouillie pour les chats en affirmant qu’il fallait «continuer,
car au bout du chemin il y avait la réussite». Certes. Continuons
donc.
Fin de la mystification
Disons-le tout net, nous n’allons évidemment pas pousser des cris
d’orfraie parce que le FN triomphe en France sur les ruines malodorantes
de l’UMP ou du PS.
Nous n’en avons, à vrai dire, rien à braire. Car comme on fait son lit
on se couche, dit l’adage. Et si les extrêmes progressent dans
l’Hexagone comme ailleurs en Europe, c’est surtout parce que la
mystification qui consiste à singer l’alternance gauche-droite pour
permettre à la même oligarchie de toujours garder les rênes du pouvoir a
du plomb dans l’aile.
Et s’agissant de la fameuse «construction européenne», voilà 35 ans que
cette oligarchie
prend ouvertement les électeurs pour des abrutis
en leur affirmant sans sourciller vouloir construire une «Europe
sociale, forte, indépendante ou citoyenne» ; alors que c’est
précisément l’inverse qui est édifié: à savoir une Europe des banquiers,
des multinationales, une Europe faible et soumise aux intérêts US.
A cet égard, dans l’immense matraquage propagandiste qui a précédé ces
élections, il y avait même quelque chose d’indécent à entendre
Cohn-Bendit faire l’éloge des
«Etats-Unis d’Europe» ; ou cet autre saltimbanque-Système dont nous
avons oublié le nom affirmer dans un clip promotionnel que
«l’Europe, c’est les Etats-Unis
sans la langue».
Fameux modèle s’il en est.
Une abstention et un vote
responsables
Aujourd’hui, le projet européen n’est pas seulement en panne comme
le suggère ses indulgents idéologues.
Aujourd’hui, le projet européen est un ratage à peu près complet, et il
n’est même pas possible de redresser la barre.
La comptabilité du Parlement européen est en effet limpide en la matière
et le succès des partis eurosceptiques ne changera donc strictement rien
à l’évolution ces choses, hors du champ de la pure communication bien
sûr.
L’Europe des oligarques va donc pouvoir continuer; devenir en effet de
plus en plus étasunienne; avec ses hordes toujours plus grandes de
crève-la-faim pressurisés par une élite toujours plus restreinte,
toujours plus affamée.
Dans quelque temps, la signature du
Traité transatlantique,
le fameux
TAFTA,
achèvera sans doute de mettre l’Europe aux fers étasuniens, soumettant
ses 500 millions de conso-citoyens à la dictature du
corporate power apatride, à
celle des trafiquants de dividendes, d’OGM ou de bœuf aux hormones.
Enfin, sur le plan géopolitique, l’Europe sera définitivement confirmée
dans son rôle de laquais au service des intérêts des Etats-Unis, et cela
au moment même où Washington
l’instrumentalise déjà jusqu’au ridicule
dans sa
«Guerre Froide 2.0»
contre la Russie, et bientôt contre la Chine.
Dans ces conditions, s’abstenir ou donner sa voix aux partis
eurosceptiques représentaient de fait les seules attitudes responsables
possibles.
Une Europe à l’envers
L’Europe en effet va mal. Non pas qu’il s’agisse d’une mauvaise
idée, loin s’en faut. Mais l’Europe que nos élites construisent
aujourd’hui est une Europe à l’envers.
L’Europe se devait d’être solidaire, elle ne l’est pas.
L’Europe se devait d’être sociale, elle ne l’est pas.
L’Europe se devait d’être forte, elle ne l’est pas.
L’Europe se devait d’être indépendante, elle ne l’est pas.
En singeant le modèle étasunien, en se soumettant à la dictature-Système
du néolibéralisme washingtonien, elle a trahi tous les espoirs, toutes
les aspirations.
Aujourd’hui, la crise ukrainienne, alors que
les putschistes intensifient le massacre de leur population
à l’Est, nous fait prendre la mesure du piège que constitue la servitude
de l’UE à l’égard des Etats-Unis.
Un piège terrible qui lui impose d’engager les hostilités avec la Russie
alors que, a contrario, le
salut de l’Europe réside précisément dans cette alliance naturelle qui
la porte vers l’Eurasie, «de Brest
[ou plutôt d’Algeciras] à
Vladivostok», vers l’Euro-BRICs.
Seulement voilà, pour changer de cap, il faudrait à nos élites une vertu
dont elles sont parfaitement dépourvues: le courage politique.
Dans quelques jours, les commémorations forcément humides, forcément
sirupeuses, forcément hollywoodiennes du Jour-J vont être l’occasion
pour la toute la machinerie des merdias-Système de nous revendre la
narrative des Etats-Unis sauveurs du monde. Histoire d’enfoncer le clou,
de justifier la faute.
Et qu’importe si le nazisme n’a pas été vaincu en Normandie en 1944,
mais à El Alamein et, surtout, à Stalingrad et Koursk entre 1942 et1943.
Qu’importe si ces Russes aujourd’hui honnis ont sacrifié 27 millions des
leurs pour sauver l’Europe d’elle-même.
La farce européenne doit continuer, toute honte bue.
Reste que l'abstention massive et le vote de rejet du 25 mai témoignent
de manière éclatante que l'Europe d'en-bas est désormais prête à
combattre cet engrenage, cette "Europe à l'envers", cette "Europe à
l'américaine", cette "Europe-Système" que l'on tente de lui imposer.
C'est nouveau, c'est puissant et c'est une source d'espérance.
Mis en ligne par entrefilets.com
le 27 mai 2014 à 18h10