"Pour l'amour de dieu: arrêtez le génocide du peuple irakien!"  / 1998

Représentant la plus haute autorité chrétienne d'Irak, le Patriarche de Babylone Mar Raphaël Premier Bidawid crie son écoeurement face à "un embargo qui tue 4'500 enfants chaque mois" dans son pays. Intervview.

Installé à Bagdad depuis 1989, après 32 ans passés comme Evêque entre le Kurdistan irakien et le Liban, le Patriarche Mar Raphaël Premier Bidawid est le père spirituel des quelque 800'000 catholiques de l'Eglise chaldéenne qui vivent encore en Irak. Malgré ses septante-six ans, le personnage n'a rien perdu de sa verve et ne s'embarrasse pas d'euphémisme pour dénoncer "l'inhumanité insoutenable d'un embargo qui a déjà massacré plus d'un million d'enfants irakiens en sept ans, et qui continue aujourd'hui à en tuer 4'500 chaque mois". Des chiffres reconnus, selon lui, par l'ONU elle-même. Ecoeuré par tant souffrances, il n'hésite pas désigner les Etats-Unis comme principal responsable de cette tragédie et invite tous les hommes de bonnes volontés à se coaliser pour faire pression sur leurs gouvernements respectifs afin de faire cesser ce qu'il qualifie de "véritable génocide". Interview

 Quelle est aujourd'hui la situation réelle du peuple irakien?

En huit ans de guerre, de crises et d'embargo, le peuple irakien est arrivé au seuil de la misère. Le salaire mensuel moyen d'un irakien équivaut aujourd'hui à 2 dollars. A cause de l'embargo, plus d'un million d'enfants sont déjà morts par manque de nourriture et de médicaments. Le monde ne veut pas prendre conscience de cela et, finalement, s'en fiche. Or il s'agit d'un génocide malheureusement cautionné par ceux-là mêmes (l'ONU) qui se posent comme les défenseurs des droits de l'homme dans le monde. Est-ce cela le nouvel ordre mondial? Assassiner des enfants sous couvert de sanctions économiques?

Comment les irakiens réussissent-ils à survivre dans ces conditions?

Comme chaque fois qu'un pays est acculé à la ruine, il y a un flux massif d'émigration. Nous avons connu ce même schéma au Liban notamment. Cette diaspora irakienne permet donc à certains de survivre en envoyant de l'argent dans le pays. Et puis, il y a les organisations humanitaires. Mais nous sommes débordés. Dans notre Confrérie de la charité, à Bagdad, je suis toujours effondré de voir des femmes, musulmanes ou chrétiennes, venir quémander juste un peu de lait pour que leurs enfants aient une petite chance de survie. Des professeurs d'université sont, par exemple, obligé de faire le taxi en dehors de leurs cours pour gagner quelques dinars de plus.

Peut-on parler d'une générations sacrifiée d'enfants irakiens?

Aujourd'hui en Irak, tous les enfants de moins de huit ans ont été sévèrement traumatisés par la guerre, le manque de nourriture et la peur. La plupart de ceux que je côtoie présentent déjà des séquelles au niveau psychique. Tout cela est terrifiant pour l'avenir. Le peuple irakien ne mérite pas cela. Aucun peuple ne le mérite. Il faut aujourd'hui que tous les gens de bonnes volontés se rassemblent pour faire pression sur leurs gouvernement et faire cesser ce massacre puisque l'ONU en est pour l'instant incapable. Même si je sais qu'elle est constituée de gens qui, dans leur grande majorité, voudrait en finir avec cet infamie qu'est l'embargo.

Ne pensez-vous pas que le Président Saddam Hussein porte tout de même une large part de responsabilité dans cette situation?

Vous savez, chacun à ses torts dans cette affaire. Mais ce que je sais, c'est que depuis 1990, toute la crise irakienne n'a été qu'une vaste hypocrisie. Ainsi, les gens les mieux informés savent bien que l'invasion du Koweit par l'armée irakienne s'est faite avec l'aval des USA qui, par cette ruse, ont attiré Saddam Hussein dans un piège pour justifier leur intervention.

Mais dans quel but?

Il y a deux raisons principales à cela. La première est que dans leur politique moyen-orientale, les USA ont toujours soutenu la politique israélienne qui ne peut tolérer qu'un état arabe devienne fort dans la région. La Guerre du golfe a donc d'abord servi à régler radicalement la question. Ensuite, il est bien évident que le Veau d'Or est toujours debout et que les retombées financières de l'opération ont été colossales pour les américains en terme de mainmise sur les robinets de pétrole où, comme chacun le sait notamment, de vente d'armes dans les pays du Golfe.

 Et l'ONU dans tout cela?

L'ONU mène malheureusement un politique aux multiples poids et aux multiples mesures qui irrite légitimement le monde arabe. Cela est frappant lorsque l'on met en parallèle la violence inouïe par laquelle l'organisation sanctionne la moindre violation irakienne d'une résolution, et l'absence totale de réaction lorsque c'est Israël qui viole une résolution. Je crois aussi que tant qu'un pays comme les USA pourra se permettre de se passer outre les décisions de l'ONU pour mener ses propres guerres, les actions de cette organisation ne seront définitivement que comédie.