L’économie à l’école du darwinisme
A l’heure où le séisme financier
de 2008 promet de superbes répliques puisque la perversité du système a été
soigneusement préservée grâce à
l’incurie de nos « dirigeants », un petit retour sur les théories
fondatrices du système est toujours éclairant. Et notamment celle de
Friedrich A. (von) Hayek, à laquelle les zélateurs de la dictature des
marchés se réfèrent de plus en plus.
Hayek estime ainsi grosso modo que les
règles qui régissent la société ne sont pas le fruit de la raison, d’une
humanité pensante et agissante, mais d’une sorte de mécanique où certaines
règles sont retenues par l’usage, parce-que jugées utiles, et d’autres
abandonnées au fil du temps.
La société moderne est donc une sorte d’ « ordre spontané » à la mécanique
opaque. Hayek définit ainsi l'homme comme un «rule-following animal», un suiveur
de règles établies empiriquement. C’est ni plus ni moins la théorie du
darwinisme appliquée à l’organisation sociale.
C’est un élément central du raisonnement néo-libéral puisqu’il sert de
justification à l’idée d’une « main invisible du marché » censée équilibrer la
machine pour le bien commun.
En effet, l’idée est que si notre civilisation a pu naître quasi
« spontanément » à elle-même (darwinisme social) en s’autorégulant avec succès
pour le bien commun, il peut (doit) donc en être ainsi du « Marché », dont
l’action des individus agissant dans leur propre intérêt est censé aboutir à une
sorte d’autorégulation globale tout aussi « spontanément » favorable au bien
commun.
La « réussite » du darwinisme social justifierait ainsi le recours au darwinisme
économique.
Pour Hayek, la justice sociale est d’ailleurs une hérésie. Les règles du jeu
étant impersonnelles et valables pour tous, chacun doit admettre son sort sans
se rebeller. Quant à ceux qui se plaindraient d'être aliénés par un ordre
marchand, ce sont «des êtres non domestiqués, non civilisés».
Selon Hayek bien sûr, la démocratie elle-même n’est un système viable que si
elle ne contrarie pas les principes libéraux, le marché donc.
Même si la chose est théorisée abruptement par Hayek, on reconnaît bien dans
cette « philosophie » d’un marché nécessairement libre et tout puissant une
pensée libérale contemporaine où le régime politique n’est finalement qu’un
système utilitaire et inférieur, destiné au mieux à expédier les affaires
courantes...
Dans son texte
« Contre Hayek », qui a nourrit ces lignes, Alain de Benoits conclut en disant que « Hayek
est conduit (…) à faire du marché un
concept global, indépassable en raison de son caractère totalisant. Le résultat
est une nouvelle utopie. (…) car il
est clair en réalité qu'à défaut de l'achat d'une paix sociale par
l'Etat-Providence, l'ordre de marché aurait été balayé depuis longtemps. (…)
Qu'on puisse prétendre aujourd'hui rénover la « pensée nationale » en s'appuyant
sur ce genre de théories en dit long sur l'effondrement de cette pensée. »
Par ailleurs, après avoir été contraint d'éponger les dettes de Wall Street et
de la City en nationalisant les pertes des spéculateurs, reste donc à savoir
combien de temps encore l'Etat-Providence pourra encore "acheter la paix
sociale".