Hypothèses de guerre au liban
03/08/2006 (brève enrichie le 5 août)
1. Une guerre pour le compte de Washington
On le sait, les néoconservateurs américains exultent en voyant fumer les ruines
du Liban.
"C'est notre guerre", titre l'édito du Weekly Standard
du 24 juillet. D'aucuns pensent dès lors que la guerre lancée par Israël contre
le Liban l'a été pour le compte de Washington. Avec comme cibles finales l'Iran
et pourquoi pas la Syrie, bref la grande "guerre finale" rêvée des
extrémistes étasuniens, Dick Cheney en tête, histoire d'achever, avant de
quitter les rênes du pouvoir, leur grand le
remodelage du Moyen-Orient
commencé avec l'Irak et l'Afghanistan.
Mais, empêtré dans le bourbier irakien, grillé sur la scène diplomatique
mondiale par son
extrémisme, le cabinet Bush n'a plus les moyens de ses ambitions. Ses
partenaires du Conseil de sécurité lui ont en effet refusé une résolution
assortie d'une menace de l'usage de la force contre l'Iran et, après le fiasco
irakien, Washington ne peut plus faire cavalier seul dans une nouvelle
ratonnade.
Et c'est là que le joker israélien interviendrait à la faveur d'une petite
guerre contre le Hezbollah qui offre l'avantage ultime de pouvoir s'étendre à
l'Iran sous prétexte d'un soutien des mollahs à la milice chiite. Car pour Tel
Aviv aussi, abattre Téhéran est une
priorité stratégique. Et en cas d'escalade "réussie", Washington
feindrait alors la surprise et se dirait contraint, la mort dans l'âme, de
soutenir son ami israélien accusé au pire d'avoir jouer les alliés en rupture de
ban. Certains observateurs, comme
Justin Raimundo sont convaincus de la planification de cette escalade.
Ce qui plaide en ce sens est la tenue à la mi-juin dernier, donc
un mois après l'échec américain à convaincre le Conseil de sécurité
de menacer l'Iran d'une intervention militaire, d'une rencontre secrète entre
Dick Cheney et Benjamin Nétanyahou (principal relais des extrémistes US à Tel
Aviv). Rencontre qui coïncide effectivement avec le durcissement de la politique
israélienne envers le Hamas d'abord, puis le Hezbollah.
A ce stade, il n'est pas inutile de rapprocher les tentations apocalyptiques du
moment avec un article, publié en mai sur Ria Novosti, et dans lequel
Piotr Romanov se dit persuadé que la guerre entre les Etats-Unis et l'Iran est
inévitable. Il avance même une période propice aux frappes:
l'automne, rejoignant ainsi le pronostic du néocons
Patrick J. Buchanan, pour lequel Doobleyou, au plus bas dans les
sondages, pourrait lancer une attaque contre l'Iran en octobre pour tenter de
redonner un coup de fouet au camp conservateur avant les élections de novembre
prochain. Extrait de Ria Novosti: «L'objectif immédiat des Américains est
d'obtenir des sanctions - n'importe lesquelles - contre l'Iran, ce qui
signifiera automatiquement, pour Washington, que la justice est de son côté. Ce
n'est qu'après avoir épuisé toutes les possibilités dans ce domaine et essuyé un
échec que les Etats-Unis se décideront à agir en contournant le droit
international. Les critiques ne manqueront pas, mais, cette fois, la
Maison-Blanche aura la possibilité formelle de dire: nous avons fait tout notre
possible en vue de parvenir à une entente. Ces manoeuvres demandent aussi du
temps, ce qui suggère un délai approximatif: l'automne."
Reste que cette l'hypothèse d'une escalade grâce au levier israélien
s'accommode mal d'une réalité qui s'avère aussi une surprise sur le terrain:
l'incroyable capacité de résistance du Hezbollah au Liban Sud, résistance qui
pourrait en quelque-sorte "fixer" l'armée israélienne dans la version locale de
cette guerre de 4e génération qui met les marines en échec en Irak. Dans
ce cas de figures, les "ambitions" étasuniennes et israéliennes risquent donc
bien de devoir être revues à la baisse. C'est le pire qu'on souhaite.
2. Une guerre limitée pour compte de Washington
Après l'échec de Washington à obtenir une résolution onusienne incluant un
possible usage de la force contre Téhéran (qui lui aurait permis au besoin de
rejouer le scénario irakien), le cabinet Bush a commandité à Israël l'attaque du
Liban pour anéantir les capacités de nuisances du Hezbollah. Les États-Unis
considèrent encore en effet la formation chiite, pourtant sur le chemin de
l'intégration politique depuis des mois, comme une milice exclusivement à la
solde de Téhéran, et dans une moindre mesure de Damas. Pour Washington, casser
le Hezbollah revient donc à réduire l'un des moyens de riposte de l'Iran en cas
de frappes ciblées sur ses installations nucléaires. Une hypothèse en faveur de
laquelle plaident les grandes opérations lancées par les Etasuniens en Irak,
autre théâtre possible des ripostes iraniennes sur les troupes US par le biais
de milices alliées chiites. Et aussi celles en cours en Afghanistan pour tenter
d’écraser les chefs de guerre considérés comme trop proches de Téhéran. Autant
d'opérations qui peuvent être lues comme une tentative de couper les moyens de
ripostes de Téhéran hors de ses frontières.
3. Le Liban, véritable cible d'Israël
L'équipée sanglante déclenchée au Liban par l'Etat hébreu le 12 juillet dernier
a pour cible principale non pas le Hezbollah, mais le Liban en tant que rival
économique régional. C'est en tout cas ce que laisse penser les incroyables
destructions infligées par Israël au Pays du Cèdre. En 22 jours d'offensive, le
Liban a ainsi subi les pires dégâts économiques de son histoire contemporaine,
pires que ceux générés en quinze ans de guerre (1975-1990). Au moins une
centaine de ponts, de routes et d’autoroutes ont été détruits par les bombes
israéliennes. L’aéroport international de Beyrouth ainsi que le port de la
capitale, de même que ceux de Jounieh et Tripoli, ont subi d'importants
dégâts. Des dizaines d'usines et manufactures ont été visées dont Lecico, la
plus importante entreprise de sanitaires, et Liban-Lait, grande usine de
produits laitiers (selon Tsahal, des membres du Hezbollah se cachaient dans
des pots de yogourt), ainsi que des relais de télévision, de radios et de
téléphones cellulaires.
Selon le Conseil du développement et de la reconstruction, les dégâts sont
pour l'instant estimés à 2,5 milliards de dollars, dont:
- 638 millions de dollars dans la banlieue sud de Beyrouth,
- 90 millions dans la plaine de la Békaa,
Le coût des dégâts dans les infrastructures se montent à 785 millions de
dollars, dont:
- 404 millions pour le secteur des transports,
- 208 pour l'électricité,
- 99 pour les télécommunications,
- 74 pour le secteur de l'eau,
- Dans le domaine industriel, les dommages se montent à 190 millions de
dollars,
- Les installations militaires ont aussi été touchées à hauteur de 16
millions.
A ce tableau viennent évidemment s'ajouter les centaines d'usines, de
commerces et d'infrastructures touchés ou détruits par l'Etat hébreu, laissant
des milliers de patrons et d'employés sur le carreau, et la perte de confiance
des investisseurs, notamment des grosses fortunes arabes, dont le retrait des
capitaux auront des conséquences également désastreuses pour l'économie du pays.
Sous couvert d'une guerre contre le Hezbollah apparemment "vendable" à la
communauté internationale, Israël profite donc tout simplement de faire d'une
pierre deux coups en dévastant militairement l'entier du Liban. Histoire de se
débarrasser de son principal rival économique régional? Quinze ans après la fin
de la guerre, le Liban était en effet sur le point de redevenir, même s'il lui
fallait encore quelques années pour y arriver, ce pays prospère et accueillant,
ce pont naturel entre Orient et Occident, carrefour historique des civilisations
et des cultures qui avaient fait son âge d'or.
Avec une dette de 44 milliards de dollars héritée de la guerre, le Pays du
Cèdre aura donc bien du mal à se relever de ce nouveau cauchemar. Tout bénéfice
pour Israël donc.
A ce jour, l'équipée sanglante israélienne a fait plus de 950 morts au
Liban, dont une écrasante majorité de civils, et plus de 3200 blessés.
A noter les deux premières hypothèses n'excluent en rien la dernière