Hystérie occidentale et malaise turc

25/06/2012 Lorsqu’une pause estivale anticipée vous a soustrait des affaires du monde quinze jours durant, le retour à la «réalité» vous donne curieusement l’impression de la quitter pour entrer dans un fameux délire.
C’est que la grande Machine à broyer les esprits du Système est là, en mode turbo, occupant tout l’espace médiatique ou presque pour imposer une version fantasmée du réel ; avec toujours ses mêmes éditorialistes accrochés au délire humide d’une grande guerre purificatrice contre la Syrie et l’Iran ; avec toujours ses mêmes élites cherchant fiévreusement un casus belli pour la déclencher, le tout enrobé dans cette sorte de messianisme qui glace le sang à être toujours si joyeusement prêt et prompt à le faire couler.
Et bien sûr, le tir se concentre encore sur Bachar el-Assad qu’il faut faire chuter à tout prix. Alors on s’accroche toujours aux bilans foireux de l’inénarrable OSDH, sur lequel on commence enfin à s’interroger; on arme en sous-main de tous côtés des gangs d’assassins de plus en plus déchaînés; et les vertueux alliés du Bloc entendent même salarier les jihadistes désormais. Bref, on fait tout pour élever le niveau de violence que l’on prétend dénoncer dans le pays.

Un massacre pour chasser l’autre
Bien sûr, si elle devait advenir, la chute de Bachar el-Assad plongerait sans aucun doute la Syrie dans un épouvantable bain de sang à grands renforts de massacres intercommunautaires. Mais qu’importe pour le vertueux Bloc atlantiste, le tyran serait tombé et la Syrie «libérée», conformément à la narrative démocratico-droit-de-l’hommiste sensée justifier la chose.
Ce serait ensuite le boulot des éditorialistes de la Machine de se dresser sur leurs ergots pour affirmer que malgré la boucherie généralisée, cela en valait la peine, que c’était le prix à payer pour la liberté et toutes ces sortes de conneries. Surtout, on ne s’étendrait pas trop sur le sujet comme pour la Libye aujourd’hui, dont on évite soigneusement de décrire la sanglante agonie.
Enfin, une émotion chassant l’autre ; une image chassant l’autre ; un massacre chassant l’autre, on distrairait rapidement les esprits avec une nouvelle poussée belliqueuse puisque, pour l’essentiel, la chute de la Syrie doit servir à libérer la route de Téhéran, avec la perspective d’une nouvelle sanglante mais toujours vertueuse croisade.
The never ending story, version atlantiste, du moins sur le papier.

La Turquie à rude épreuve
Mais la réalité, la vraie, celle des faits et du terrain, celle des forces en présence et des acteurs engagés, est terriblement têtue.
Et le Bloc atlantiste n’arrive toujours pas à boucler l’étape syrienne.
L’affaire du chasseur turc abattu est à ce titre un cas intéressant puisqu’en théorie, il aurait dû immédiatement fournir le casus belli tant attendu par le Bloc atlantiste.
Bien sûr, après avoir joué l’apaisement, Ankara semble vouloir durcir le ton désormais, sans doute habilement conseillé en ce sens par les chancelleries occidentales. Mais jusqu’où ?
La Turquie a en effet demandé une réunion de l’OTAN ce mardi, mais sous article 4 (réunion pour consultation), et non sous article 5 (réunion pour une demande d’aides militaires).
Il y a donc fort à parier que le gouvernement Erdogan, désireux de contenter les bellicistes de l’OTAN et d’essuyer l’affront fait par les artilleurs syriens (video), est certes prêt à bomber le torse, mais pas plus que nécessaire. Car la politique anti-syrienne du gouvernement Erdogan commence à être largement critiquée en Turquie.
Il est vrai que, rejetée par l’UE, la Turquie s’est depuis quelques temps réorientée naturellement vers l’Asie antérieure où elle cherche désormais à acquérir un statut de gendarme régional, si possible au détriment de l’Iran dont elle verrait dans cette optique l’effondrement d’un bon œil.
Mais de là à assumer la responsabilité directe du déclenchement d’hostilités qui opposeraient in fine les Occidentaux à un ou plusieurs pays musulmans (si l’Iran est impliquée), il y a sans aucun doute un fossé très délicat à franchir pour Ankara.

Vers le face à face ?
Au plan international, l’impasse reste complète pour le Bloc Atlantiste puisque les clés d’un feu vert onusien restent entre les mains des Russes et des Chinois, qui n’ont eu de cesse de réaffirmer que leur ligne rouge passait par Damas et Téhéran.
Si le Bloc veut sa guerre, il devra donc la faire tout seul, sans le parapluie de l’ONU, et avec le risque de se retrouver face à face avec des Russes qui ont déjà prouvé, en Géorgie notamment, qu’ils étaient tout à fait prêts à défendre leur ligne rouge les armes à la main si nécessaire.
Et pour l’OTAN, ou tout autre coalition occidentale, ce serait une expérience tout à fait nouvelle de devoir affronter pareil adversaire, même par armée syrienne interposée. Sans parler des risques de dérapages et d’extension inhérents à ce type de bras de fer.
Mais qu’importe, éructeront bien sûr les éditorialistes zélés du Système qui se rêvent en pleine guerre froide : «Faut y aller ! C’est une question de principe !»
Et il est vrai que, messianisme oblige, le Bloc se sent à la fois dans son bon droit et, surtout, invincible.
Deux traits de caractère volontiers prêtés aux fous.
A suivre donc…