Soutien déterminé de la droite américaine à la politique israélienne
Parce que c'est la volonté de Dieu
INTERWIEV EXPRESS d'Albert de Pury,
professeur à la faculté de théologie de l'Université de Genève. " Ce sont eux les premiers sionistes " Qui sont ces chrétiens évangéliques pro-Israël? C'est un courant protestant majoritairement américain - mais il est aussi présent en Suisse -, né au XIXe siècle en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Comme tous les protestants, ces fondamentalistes accordent une grande importance à l'Ancien Testament mais en font une lecture littéraliste. Ils n'admettent pas la critique historique des textes qu'ils lisent dans une perspective messianique et apocalyptique. Pour eux, les événements historiques sont à lire suivant un scénario qui mène à la fin des temps, sur laquelle le courant protestant majoritaire n'insiste pas. Pour lui, comme pour la majorité des juifs religieux, elle est dans les mains de Dieu. Pourquoi un tel engagement? Il faut savoir que ce sont eux, les premiers sionistes. Dès le 19e siècle, ils s'engagent, des années avant les sionistes juifs, pour la création d'un Etat d'Israël en Palestine. Ils sont certes émus par les souffrances du peuple juif, s'élèvent contre l'antijudaïsme chrétien, mais voyent surtout dans ce futur Etat la réinstauration de l'ancien Israël annoncée par des prophéties bibliques. Un homme politique britannique comme Lord Balfour (ndlr: sa Déclaration de 1917 prévoit l'établissement d'un foyer national juif en Palestine) appartenait à ce courant protestant. A la fin de l'Empire ottoman c'est souvent la Bible à la main que les frontières du Moyen-Orient ont été redessinées. Quelles sont leurs relations avec les chrétiens arabes, en particulier les Palestiniens? Ces mouvements n'ont aucune idée de ce que sont les Eglises d'Orient. On peut même parler de mépris. Cela crée des tensions au sein du protestantisme dont le courant majoritaire s'engage pour la création d'un Etat palestinien et une paix juste au Proche-Orient. Ces militants messianiques n'ont aucune notion des enjeux politiques réels sur le terrain. Pour eux, seule compte leur vision biblique qui les conduit à soutenir les positions israéliennes les plus extrémistes. A.K. |
Les évangéliques conservateurs s'engagent résolument derrière le gouvernement d'Ariel Sharon. Désormais ce sont eux qui constituent le lobby pro-israélien le plus influent outre-Atlantique.
ANNE KAUFFMANN 24heures, le 5 juillet 2002
"Dans la Genèse 14-13-15 la Bible dit : L'Eternel dit à
Abraham (...) Lève les yeux, et, du lieu où tu es, regarde vers le nord et le
midi, vers l'orient et l'occident; car tout le pays que tu vois, je le donnerai
à toi et à ta postérité pour toujours." (...) C'est à cet endroit (n.d.l.r.:
Hebron) que Dieu est apparu à Abraham et lui a dit "je te donne cette
terre", la Cisjordanie. Il ne s'agit nullement d'une bataille politique. Il
s'agit d'un affrontement sur la question de savoir si oui ou non la parole de
Dieu est vraie". Pour James Inhofe, un Républicain de l'Oklahoma, qui a tenu ses
propos dans un discours au Sénat en mars dernier, la réponse ne fait évidemment
aucun doute.
James Inhofe fait partie des nombreux hommes et femmes politiques américains
ultra-conservateurs et religieux qui exhortent le président Bush à soutenir sans
restrictions la position israélienne dans le conflit du Proche-Orient. Le plus
influent d'entre eux, le Texan Tom DeLay, 55 ans, le chef de la majorité
républicaine au Sénat, a d'ailleurs été acclamé ce printemps à la convention de
l'AIPAC American Israeli Public Affairs Committe), jusqu'ici le lobby
pro-israélien le plus puissant des Etats-Unis.
Républicains sous influence
Comme la plupart de ces supporters inconditionnels d'Israël, Tom DeLay, un
Baptiste évangélique fervent qui a redécouvert Jésus à 38 ans, bénéficie du
soutien de la "Christian Coalition". Cette organisation, fondée en 1989 par le
télévangéliste Pat Robertson, revendique près de 2 millions d'adhérents,
protestants pour la plupart, et pèse de tout son poids conservateur sur le parti
républicain et l'actuel gouvernement où ses vues trouvent un écho certain,
notamment auprès du très religieux ministre de la Justice, John Ashcroft
(Je n'ai d'autres roi que Jésus, avait-t-il déclaré). Dans certains Etats
disputés, c'est elle qui a fait pencher la balance en faveur de George Bush à la
dernière présidentielle.
Visite à Ariel Sharon
La "Christian Coalition" s'oppose aux démantèlement des colonies
israéliennes en "Terre biblique", et refuse la création d'un Etat palestinien.
Des positions partagées par d'autres mouvements issus de la mouvance évangélique
conservatrice - en plein essor aux Etats-Unis - qui multiplient les actions de
soutien: manifestations, prières collectives dans les Eglises, campagnes de
mails envers les élus, pétitions, voyages en Israël. C'est ainsi que Gary Bauer,
qui préside une puissante organisation américaine de défense de la famille, a
rencontré le laïc Ariel Sharon, mardi dernier, pendant une heure à Jérusalem. Il
lui a remis une lettre de soutien à Israël signée par plusieurs prédicateurs
évangélistes, dont Jerry Falwell, le père de la "Majorité morale" des années
Reagan.
C'est avec l'arrivée au pouvoir du Likoud (droite) en 1977 qu'Israël a commencé
à tisser des liens avec le courant chrétien évangélique conservateur américain
qui rassemblerait quelque 40 millions de fidèles. Quand il était ambassadeur à
Washington, Benyamin Netanyahou, par exemple, rencontrait fréquement des
télévangélistes comme Pat Robertson. En avril dernier, au cours d'un voyage aux
Etats-Unis, il n'a d'ailleurs pas manqué de rendre visite à ces alliés
déterminés.
Réticences dans la communauté juive
La communauté juive américaine, pourtant, n'est pas unanime à se féliciter
de ce soutien. Même si, d'un point de vue stratégique, certains lobbyistes
pro-israéliens s'en félicitent. En politique intérieure, en effet, tout sépare
son courant libéral -majoritaire - et ces chrétiens conservateurs qui
soutiennent la peine de mort, militent pour la prière à l'école, sont des
adversaires résolus de l'avortement et du moindre droit accordé aux homosexuels.
Juste après le 11 septembre, Jerry Falwell, n'a d'ailleurs pas hésité à déclarer
dans une émission du réseau de télévisions de Pat Roberston que Dieu avait
permis que l'Amérique soit frappée parce qu'elle se détournait de Lui. "Jerry,
je ressens la même chose", avait acquiescé le fondateur de la "Christian
Coalition".
"Politique étrangère apocalyptique"
La réticence de nombreux juifs américains - et aussi d'Israéliens -
s'explique aussi par des motifs religieux. La plupart de ces fondamentalistes
sont convaincus que la fin des temps approche. Ils croyent au retour prochain de
Jésus sur terre et qu'alors "les Juifs reconnaîtront leur Dieu".
Dans cette vision du monde "Israël ne doit faire aucune concession, car cela
contrecarrerait (leur) vision prophétique, analyse Gershom Gorenberg dans le
magazine israélien The Jerusalem Report. C'est de la politique étrangère
apocalyptique, dénonce-t-il. Il s'agit là de soutenir Israël non par pour le
bien de vies juives, mais pour hâter la fin des Temps et, en passant, convertir
les Juifs."
La vache qui fait peur
prophétie
Elle hâterait la reconstruction du Temple.
L'Etat d'Israël est devenu réalité. Jérusalem tout entière est sous juridication
juive. Des juifs du monde entier retournent au "pays de Canaan", un mouvement
que des groupes évangéliques soutiennent financièrement. Selon la feuille de
route des prophéties bibliques, il ne manque plus que la reconstruction du
Temple juif à Jérusalem - là où s'élèvent aujourd'hui les mosquées d'Omar et
d'El Aksa- pour qu'on entre dans la fin des temps.
Dans ce scénario, certains fondamentalistes protestants et de petits groupes religieux juifs attribuent un rôle de premier plan à une vache qui doit être entièrement rousse du museau au bout de la queue et naître en Israël. Selon l'Ancien Testament, seules les cendres de cet animal permettront la purification préalable à la reconstruction du Temple.
Parmi ceux qui tentent de concrétiser cette prophétie, figure un éleveur du Mississippi qui est également prédicateur pentecôtiste. Dans les années 90, il a convaincu le Département de l'agriculture et du commerce de son Etat de transmettre ses offres à Israël pour du "bétail de race Red Angus (...) convenant aux sacrifices de l'Ancien Testament (...)". Mais il manque encore d'argent pour affrêter les deux 747 qui transporteraient des centaines de vaches portantes en Israël. D'autres fondamentalistes misent sur le clonage...
Ces initiatives font frissonner une grande majorité d'Israéliens. Pour certains extrémistes - juifs ou protestants- ce serait, en effet, le signe que le moment est venu de détruire les mosquées pour faire place au Temple. L'alerte a retenti en 1996 avec la naissance de "Melody" dans la ferme d'une école religieuse juive près de Haïfa. Le journal Ha'aretz lui a consacré un éditorial et appelé à sa destruction immédiate estimant que son "potentiel de destruction" dépassait de loin "celui d'une bombe terroriste". Le danger a été écarté, la queue de "Melody" a viré au blanc. Mais, ce printemps, la naissance d'une nouvelle vache rousse a été annoncée sur des sites évangéliques américains. A.K.