La Croix rouge mène sa guerre de l'eau / 1998

La tempête du désert et l'embargo ont sévèrement compromis l'approvisionnement en eau potable de la population civile. L'organisation humanitaire fait l'impossible pour éviter le désastre.

Installé depuis 1980 à Bagdad suite au déclenchement des hostilités entre l'Iran et l'Irak, le Comité international de la Croix rouge a vu sa mission changer radicalement depuis la guerre du Golfe. D'un mandat conventionnel d'aide aux prisonniers de guerre qui se poursuit toutefois aujourd'hui, l'organisme a effectivement du porter l'essentiel de ses efforts vers la reconstruction et de la réhabilitation des quelque 1'500 stations de pompage et de traitement d'eau du pays. La Tempête du désert n'ayant pas été une guerre de conquête, une grande partie de ces installations avaient ainsi directement ou indirectement été endommagées par l'action militaire de la coalition (notamment par la destruction des centrales électriques qui les faisaient fonctionner). De plus, avec l'embargo, nombre des stations épargnées sont devenues vétustes, voire inutilisable en raison de leur vieillissement et de l'absence quasi totale de pièce de rechange. Aujourd'hui, sept équipes d'ingénieurs de la croix-rouge oeuvre donc à travers le pays pour réhabiliter ces équipements. Un programme d'autant plus urgent qu'une large partie de la population en est réduite à boire l'eau polluée de ces fleuves. Ajoutant ainsi les risques de dysenterie ou même de malaria à la malnutrition endémique qui la frappe.

50 stations par an

Irrigué par les deux fleuves mythiques que sont le Tigre et l'Euphrate, l'Irak ne devrait apparemment pas connaître de problème d'approvisionnement en eau. Pourtant, là où le bât blesse, c'est que hormis ses montagnes du nord, le pays est plat comme une crêpe. D'où la multitude des stations de pompage disséminées sur tout son territoire et l'impérieuse nécessité de les faire fonctionner pour offrir de l'eau potable à la population. Un programme pour lequel la Croix rouge consacre désormais plus de 5 millions de francs par année. "Juste après la tempête du désert, témoigne Manuel Bessler, chef de la délégation en poste à Bagdad, nous avons du réagir dans l'urgence en distribuant de simples sachets d'eau potable à la population. Mais depuis trois ans, nous réussissons tant bien que mal à remettre en état une cinquantaine de stations par année à travers le pays".

Retour vers le tiers-monde

Reste que le travail à réaliser est titanesque. "Une station de pompage et de traitement de l'eau est une machinerie énorme et complexe, souligne Evaristo Oliveira, ingénieur canadien de la Croix Rouge. Or, toutes les stations irakiennes sont poussées au maximum de leur rendement et fonctionnent souvent grâce à des bidouillages du genre bas de Nylon à la place d'une courroie". Il est vrai qu'avec l'embargo, et même pour l'organisation humanitaire, ce sont des délais de 6 à 9 mois qui sont nécessaires pour importer des pièces de rechange où des produits chimiques nécessaires au traitement de l'eau. "Plus l'embargo perdure, souligne Oliveira, plus les dommages s'aggravent avec, comme corollaire, un impact maximum sur l'environnement et sur la santé de la population!" En cela, l'ingénieur canadien ne cache donc pas son inquiétude et confie que "malgré l'intervention de la Croix rouge, la situation continue à se dégrader de jour en jour".

Le tunnel de l'été

Aujourd'hui, l'équipe de la Croix rouge installée en Irak est d'autant plus inquiète qu'elle s'apprête à voir entrer le pays dans ce qu'elle appelle le "tunnel de l'été". Une période de l'année où, chaleur oblige, les besoins en eau de la population vont être décuplé. "Alors que l'Irak était un pays technologiquement tout à fait au point en matière de traitement des eaux, estime Manuel Bessler, la guerre du Golfe et l'embargo l'ont renvoyé à l'état de pays du tiers monde". Un constat qui peu malheureusement s'appliquer également en terme de santé public et d'éducation dans un pays désormais à l'agonie.

P.V