Lorsque le bas est en-haut

25/20/2011 Les gloussements de midinette poussés par Hillary Clinton à l’annonce de la mort de Kadhafi résument admirablement la pathologie qui ronge désormais la psychologie de l’élite occidentale. Une psychologie pervertie par un «idéal de la puissance» dont le déchaînement de la matière et l’assassinat légal sont la manifestation ultime de son aboutissement, l’affirmation complète et définitive de son triomphe.
En déclarant, hilare, son fameux
«We came, we saw, he died», Hillary Clinton, a ainsi confirmé que cet «idéal de la puissance» était arrivé à sa pleine maturité puisqu’affirmé dans une amoralité parfaitement assumée, une «inculpabilité» totale. Cette même inculpabilité qui habitait déjà Madeleine Albright lorsqu’elle estimait qu’avoir tué un demi-million d’enfants irakiens du fait de l’embargo avait certes été «un choix très difficile», mais que «cela en valait la peine» (1). La même inculpabilité qui a permis au clan Bush d’ériger la torture en véritable politique.
Or les gloussements d’Hillary, bien qu’exprimés différemment selon les sensibilités, ont été partagés par tous les acteurs du bloc américano-occidentaliste à cette occasion. Personne n’a en effet cru une seule seconde à la sincérité des propos d’un petit Nicolas qui, jouant la carte du politiquement correct sans parvenir toutefois à dissimuler une légère érection, déclarait qu’on ne devait « jamais se réjouir de la mort d’un homme, mais… ». Pas plus que n’était exempt de gloussements la posture martiale d’un Glamour-BHO affirmant sans sourciller que la mort de Kadhafi prouvait que les régimes brutaux «finissent inévitablement par disparaître».  Une déclaration qui ne manquait d’ailleurs pas de piquant pour un homme qui a repris avec zèle le flambeau mortifère du clan Bush.

Le président-assassin
Il y a ici un renversement extraordinaire de valeurs lorsque l’élite d’un bloc idéologique qui a bâtit toute sa narrative sur les droits de l’homme s’amuse ouvertement d’un lynchage comme d’une bonne blague ; lorsque le leader auto-proclamé de ce qui est sensé être le monde-libre, accepte un Prix Nobel de la Paix tout en poursuivant l’entreprise mortifère de ses prédécesseurs ; lorsque ce même leader se vautre dans l’inculpabilité au point d’assumer ouvertement son statut de président-assassin en
revendiquant l’organisation d’exécutions-extrajudiciaires comme ceux de Ben Laden ou de l’imam américain el-Awlaki. Un tableau de chasse auquel on peut désormais ajouter Kadhafi puisque ce sont des missiles américains qui ont livré le bonhomme à ses bourreaux (2).
Il faut reconnaître que jamais, dans l’Histoire, une élite politique n’a ainsi professé être l’exact opposé de ce qu’elle était vraiment.

Un immense charnier pour la bonne cause
Aujourd’hui, mission accomplie donc, pour le Bloc américano-occidentaliste. En instrumentalisant le Printemps arabe, ils ont piloté une opération de regime-change rondement menée, avec l’appui inconditionnel d’une presse-Pravda qui a toujours soigneusement évité d’évoquer les boucheries provoquées par les bombardements de l’OTAN. Aujourd’hui, le bilan forcément minimaliste mais néanmoins officiel des marionnettes du CNT se monte tout de même à 30'000 morts.
Un gigantesque charnier face auquel ceux de Kadhafi font pâle figure.
Mais qu’importe puisque c’est pour la bonne cause évidemment.

Rien à voir avec le Printemps arabe
Les insoutenables images du lynchage de Kadhafi, sodomisé avec un bâton par les «combattants de la liberté» de Sarko-BHL et d’Obama, sont en réalité le reflet exact de ce qu’aura été cette guerre : à la fois une boucherie, un spectacle répugnant, une vengeance et un massacre pour la conquête du pouvoir et rien d’autre.
Assimiler cette bouillie sanglante et nauséabonde au Printemps arabe est une ignominie.
Mais le bloc américaniste a sa victoire, une victoire sale, pleine de sang et de rage, dans un déchaînement furieux de matière incandescente et de destruction, de manipulations et de mensonges. Une victoire qui place aussi, sans doute, la Libye aux portes d’un nouvel enfer.
Mais heureusement, les éditorialistes zélés du Système nous l’affirment: la Libye est désormais «ivre de liberté».
Où lorsque le bas est en-haut.
Nausée.


(1) Le monde diplomatique - Mai 1999, p. 4-5

(2) Le lynchage de Kadhafi avait été soigneusement programmé. Jamais personne n’a même pensé qu’il s’en sortirait. Et cela grâce au matraquage d’une presse-Pravda qui, quotidiennement, nous faisait entendre les déclarations hystériques de ses « combattants de la liberté » prêts à dépecer le guide à la première occasion. L’objectif était de rendre la chose inéluctable, et surtout d’en faire porter l’entière responsabilité aux Libyens. Il faut dire qu’en 40 ans de règne soutenu par l’Occident, Kadhafi avait des pleines caisses de casseroles à divulguer le cas échéant. Du financement éventuel de la campagne présidentielle de Sarkozy à la sous-traitance des basses-œuvres américaines aux tortionnaires libyens, pour ne citer que les plus polémiques.