L’Occident, seul dans sa bulle  

31/07/2012 Au risque de paraître naïfs, il faut avouer qu’ici, à entrefilets, nous ne cessons d’être fascinés par l’ampleur de la désinformation propagée par le Bloc occidental dans les crises syrienne ou iranienne. Et plus généralement par la persistance de cet étonnant besoin qu’il a de toujours vouloir recouvrir du vernis de la vertu ses manigances les plus évidentes, voire même sa barbarie la plus outrancière. C’est un phénomène fascinant par ce qu’il signifie de rupture totale avec ce réel que partage le reste du monde.
De l’Amérique latine à l’Asie en passant par l’Afrique et les Indes, un rejet quasi unanime de l’enfumage atlantiste témoigne désormais d’un changement de paradigme à la portée vertigineuse : les mensonges de l’Occident ne trompent désormais plus que les Occidentaux eux-mêmes. Sa narrative droit-de-l’hommiste a fait long feu.
Nous sommes les derniers, les seuls à y croire encore.
Qu’ils s’agissent de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye ou de la Syrie –et peut-être bientôt de l’Iran–, les casus belli bidons avancés par les Occidentaux pour justifier leurs juteuses ratonnades sont désormais partout identifiés comme tels.

Dans l’attente d’un funeste destin
Il faut prendre le temps de se pénétrer de cette idée pour bien mesurer les conséquences potentiellement dévastatrices qu’elle renferme : Personne, absolument plus personne in the rest of the world, ne croit plus à la rhétorique vertueuse de l’Occident ni à la justesse de ses causes. Le magistère moral sur lequel le Bloc atlantiste prétend fonder son action n’existe tout simplement plus que dans la tête des Occidentaux. Cela peut paraître banal de le dire, mais à bien y penser, c’est tout à fait extraordinaire et, pour tout dire, révolutionnaire.
Cela signifie qu’aujourd’hui sur la scène internationale, chacun se contente d’écouter les ténors du Bloc occidental plus ou moins poliment, par simple respect pour leur fabuleuse puissance mortifère, mais comme on écoute poliment un roi fou, c'est-à-dire tout en complotant éventuellement pour le déposer ou, plus sagement, en priant pour que s’accomplisse le plus rapidement possible le funeste destin que la divine Providence leur a toujours réservé.
Et comment pourrait-il en être autrement ? Car partout dans le rest of the world, on a de la mémoire et le sens de l’histoire.

Le lourd passif de la vertu
En 1991, le Bloc occidental et quelques pays clients attaquaient l’Irak après avoir piégé Saddam Hussein. Le dictateur a toutefois été laissé en place pour permettre le pillage «légalisé» des ressources du pays. Durant l’embargo qui suivit, un million d’irakiens furent tués par les bombes de papiers de l’ONU, pour moitié des enfants, un prix «qui en valait la peine» selon le bon mot de la secrétaire d’Etat US de l’époque, Madeleine Albright.
Et, en effet, au-delà des bénéfices stratégiques que représentait la prise de contrôle de ce territoire à l’ombre des ruines encore fumantes de l’ex-URSS, l’opération aura été la plus lucrative de cette fin de siècle pour les marchands d’armes (notamment grâce aux ventes réalisées dans les pays du Golfe) et de pétrole occidentaux. 
Puis ce fut l’attaque et l’invasion de l’Afghanistan, avec le prétexte foireux d’une riposte aux attentats du 11 Septembre. Le bénéfice attendu était là encore liés aux ressources, et à la nécessité de reprendre le terrain abandonné par les soviétiques en Asie centrale. Dix ans de guerre, des dizaines de milliers de morts, peut-être des centaines, qui sait, et un pays dévasté, avec l’imminence d’un retour au pouvoir des talibans.
Puis ce fut la fable des armes de destruction massive irakiennes pour justifier la monstrueuse estocade portée à ce pays, avec un million de morts supplémentaires. Mais durant toute l'occupation au moins, les tankers américains ont pu accoster en Irak, faisant le plein gratuitement après avoir débranché le compteur des raffineries.
Tout cela bien sûr, il ne faut pas l'oublier, sur fond de soutien inconditionnel au tortionnaire israélien de la Palestine, au mépris de toute les valeurs que l'on prétend défendre.
Puis ce fut la Libye et ses dizaines de milliers de morts avec pour résultat la dévastation, la ruine, les guerres de clan. Mais aussi des contrats de reconstructions mirobolants bien sûr, et un nouveau pouvoir totalement soumis, endetté pour mille ans, si tant est que le pays évite la somalisation.
Victoire !

Illich à la rescousse
En son temps Yvan Illich a développé un concept qui pourrait servir de base de réflexion pour expliquer cette fantastique inversion des valeurs portées à l’origine par les lumières de l’Occident.
Il s’agit du concept de contre-productivité qui veut que lorsqu'elles atteignent un seuil critique en situation de monopole, les grandes institutions de nos sociétés modernes industrielles produisent une situation où, pour le plus grand nombre, tout bascule vers son contraire : le système de santé produit des malades ; celui de l'éducation des ignorants ; celui de la communication davantage d'isolement; celui de la sécurité toujours plus d’insécurité; etc… (Un concept que la situation socio-économique de plus en plus désastreuse que  vivent les peuples occidentaux tend d’ailleurs à valider).
L’Occident a peut-être atteint ce seuil critique justement, dans cette situation de monopole, d’hyper-puissance où il se trouve. Et dès lors sa lumière passée ne peut plus aujourd’hui que produire des ténèbres.
Si tel est le cas, cet étonnant besoin de recouvrir du vernis de la vertu les manigances les plus évidentes, la barbarie la plus outrancière devient plus que compréhensible : elle devient vitale.
Car sinon comment vivre avec tout ce sang sur les mains, comment faire ripaille au milieu de toute cette douleur, comment prospérer à l’ombre de toutes ces ruines.
Il vaut en effet mieux que l’Occident continue à secourir et à aider les Syriens, les Iraniens, l’Afrique, le monde.
Seul, dans sa bulle.
Au moins jusqu’à ce que la divine Providence se manifeste.