PRISM : bienvenue dans l’outre-monde
25/06/2013 Le
scandale PRISM est bien davantage qu’une simple dérive des services de
renseignements américains. PRISM révèle en fait l’architecture profonde
de cet outre-monde en devenir, ce
«meilleur des mondes» que notre vertueux Système façonne pour nous
jour après jour à grands coups de progrès technologiques. Nul besoin ici
d’un quelconque complot d’une quelconque société secrète. Le
totalitarisme est inscrit dans les gènes de la
«dictature néolibérale», et
son avènement est garanti par la fuite en avant d’un Système
anthropotechnique désormais hors de contrôle. Bienvenue donc dans les
prémices de cet outre-monde, de cette société mondiale de l’obéissance
en devenir, société sans conscience, sans citoyens et sans nations, où
vos enfants seront totalement libres d’être guider vers le bonheur
parfait, en toute transparence.
Terrorisme et tittytainment
Dans notre essai intitulé
Notre Hyper-Titanic
va couler,
nous avions consacré un chapitre à l’essence totalitaire du Système
néolibéral : «L’avènement de la
société libérale interdit l’alternative. Les divergences de pures
formes, qui opposent ce que l’on nomme les «sensibilités politiques», se
discutent à l’intérieur du statuquo qu’elle impose. C’est à cela que se
réduit l’opposition. Dans une société qui prétend pourvoir de manière
satisfaisante aux besoins du plus grand nombre, l’opposition n’a en
effet plus aucune raison d’être, elle est même une menace pour la
collectivité.»
Nous relevions ainsi qu’en toute logique, dans une telle société, la
menace ne pouvait plus venir à terme de l’extérieur, mais bien de
l’intérieur. D’où la mise en place de formidables outils de contrôle
(Echelon, PRISM, banalisation des
drones
etc…),
de propagande (télévision,
presse-Système) et de répression destinés à la bonne gouvernance de
cette future société de l’obéissance : «Une
fois les oppositions annihilées, une fois le triomphe global réalisé,
une fois l’en-dehors incorporé, l’agressivité du Système ne pourra que
se retourner contre son espace intérieur. Il s’agira en effet pour lui
de prévenir la perversion de son «être» et l’éclatement, qui
représenteront alors l’ultime menace à réduire. A terme, la liberté
humaine sera donc contrainte d’abdiquer à l’échelle individuelle face à
la toute-puissance du Système, comme elle l’a déjà fait à l’échelle
politique.»
PRISM confirme exactement cela : la tentative du Système de mettre en
place de formidables outils de surveillance des individus et qui plus
est avec, et c’est tout le génie de la chose, leur assentiment. Cela
grâce, d’une part, à la fable d’une guerre perpétuelle et vertueuse
contre le terrorisme. Et, d’autre part, grâce aux technologies du
divertissement numérique.
Autrement dit d’un côté le spectacle de l’horreur terroriste et de la
guerre perpétuelle pour encager l’individu dans la peur de
l’en-dehors du Système et, de
l’autre, le
tittytainment
numérisé pour distraire et abrutir, et surtout pour donner l’illusion de
la liberté.
De la grippe aux opinions
politiques
Ainsi, ceux qui croyaient à l’innocuité des services gratuits de
Google, Facebook, Apple, Yahoo, YouTube, Skype, ou AOL peuvent
déchanter. Cette gratuité n’a jamais été qu’un leurre, un appât, un
piège construit pour obtenir des individus ce qu’aucun service de
renseignements d’aucune dictature des temps passés n’avait jamais osé
rêver : c’est-à-dire savoir tout, absolument tout sur les individus ; de
leur géolocalisation à leurs opinions politiques en passant par leurs
craintes ou leurs rêves, et tout cela en temps réel.
Un exemple de recoupement parmi d’autres : aujourd’hui, Google est
capable de prédire une flambée de grippe bien avant l’OMS. Comment ?
Tout simplement en analysant les requêtes des usagers concernant leurs
symptômes grippaux. Lorsque ces requêtes explosent en un lieu
géographique donné, c’est qu’une flambée de grippe s’y produit. Cet
exemple d’apparence anodin démontre en fait que Google est aujourd’hui
capable de pister en temps réel le comportement et «l’état» de ses
usagers. Que ce soit en matière de santé ou d’opinion politique ne fait
aucune différence.
Finalement pas très grave dans nos démocraties, diront ceux que la
vertueuse narrative du Système a convaincu. Les autres ont raison d’être
glacés d’effroi.
Une «collaboration» pleine
d’avenir
Aux Etats-Unis, matrice du Système, des centaines de milliards de
dollars ont été consacrés ces dernières années au développement des
techniques de stockage des données informatiques. Les progrès dans ce
domaine ont été tout simplement vertigineux.
Tout ce qui flotte dans les réseaux internet ou mobile est désormais
stocké, conservé, archivé par la NSA et ses avatars.
Parallèlement, des dizaines de milliers d’ingénieurs, analystes et
spécialistes d’internet ont été appelés à travailler au développement de
techniques d’analyses de ces masses de données, tout cela bien sûr avec
la complicité totale des géants du web.
Dans la construction de cette formidable entreprise de mise sous tutelle
de l’humanité, le militaire et le civil se confondent et s’enchevêtrent,
se fondent totalement dans un montage excluant sous le sceau du
secret-défense l’émergence de toute question éthique, de tout débat de
société.
L’existence de PRISM n’est donc en rien menacée par sa découverte. Ni
celle d’ailleurs des autres programmes similaires existants ou en passe
de l’être n’en doutons pas,
en France
ou en
Grande-Bretagne
ou ailleurs. En fait, rien ne remet en cause la profonde
«collaboration», c’est vraiment le mot qui convient, entre le pouvoir et
les géants du web pour l’espionnage généralisé des individus.
The Singularity in near
Dans the Singularity in
near,
Ray Kurtzweil,
l’un des papes du
transhumanisme,
relevait en substance que «vingt
années d’innovations, à la vitesse des transformations des années 2000,
ont concentré cent années d’innovations du XXème siécle. Et
qu’en vertu de la loi du retour accéléré, les cent années du XXIème
siècle représenteront l’équivalent de vingt mille ans de progrès au
rythme d’aujourd’hui.» Ceci pour donner une idée de la puissance
technologique phénoménale dont notre vertueux Système disposera demain
pour parachever sa merveilleuse société de l’obéissance
(Kurtzweil travaille aujourd’hui
pour Google…).
Toutes les signatures et données émises par les ordinateurs, tablettes,
GPS, smartphones, cartes bancaires, puces électroniques en tout genre
sont désormais recueillies et analysées, observées, recoupées dans le
cadre du volet militarisé de la science du
«data mining».
De jour en jour, d’heure en heure, de microseconde en microseconde, le
Système va donc être capable de toujours mieux nous connaître, nous
prévoir, nous maitriser, nous contrôler.
Cette perspective, pourtant inéluctable, va-t-elle nous inciter à
renoncer à nos smartphones, à Google, à Apple ?
(…)
Bienvenue dans l’outre-monde.
«Qui a trahi qui?»
A
l’heure où nous écrivons ces lignes, l’homme par qui le scandale est
arrivé,
l’insaisissable
Edward Snowden,
serait en route pour l’Equateur qui étudie sa demande d’asile politique
(et qui abrite déjà dans son
ambassade de Londres
Julian Assange,
patron de Wikileaks, autre héros de la lutte contre la matrice déviante
du Système).
Les autorités de
Hongkong, où Snowden s’était réfugié dans un premier temps, ont opposé
une fin de
non-recevoir
aux autorités américaines demandant son extradition pour
«trahison». De même, Moscou
semble refuser toute forme de coopération pour pister l’ancien agent.
Autant de
pieds-de-nez
qui provoquent
l’ire des
Etasuniens,
pour la plus grande joie des opposants à l’avènement de la société
mondiale de l’obéissance.
A ce jour, Ricardo Patiño, Ministre équatoriens des affaires étrangères,
aura été l’un des rares hommes politiques à avoir une attitude empreinte
de dignité et de responsabilité face à l’ampleur du scandale : «Il
faudrait se demander:
qui a trahi qui?
a-t-il
déclaré. Est-ce qu'on ne serait
pas loyal envers ses compatriotes et envers le reste de l'humanité pour
avoir révélé des risques et des dangers qui nous menacent tous?»
On aurait tellement aimé entendre cela de la bouche d’un dirigeant
européen.
Mais quel pays européen aujourd’hui, même Patrie des droits de l’homme,
n’aurait pas extradé aussi sec le bonhomme vers le
grand frère étasunien?
«Qui a trahi qui?»
En guise de réponse, on notera simplement qu’aujourd’hui, les
ennemis publics numéro 1 des Etats-Unis et de leurs zélateurs ont pour
noms Julian Assange,
Bradley Manning
et Edward Snowden, trois hommes qui ont pris des risques considérables
pour dénoncer la machine de guerre américaine ou les dérives
totalitaires du Système.
La désobéissance face au risque d’avènement d’une société de
l’obéissance, c’est en effet cela, l’héroïsme aujourd’hui.
PS1 : Il est amusant de
constater que les Etats-Unis et leurs laquais ont été incapables de
tracer Edward Snowden dans sa cavale. Ce qui indique que malgré ses
moyens considérables et ses milliards, l’appareil d’espionnage US est
pour l’instant une grosse machine technologique inopérante de plus. Un
peu comme leur fameux avion de combat du futur JSF qui, certes fabuleux
sur le papier, ne vole tout simplement pas,
victime de son
ingérable complexité.
Pour l’heure, PRISM semble surtout utile à la Maison-Blanche pour
faire chanter les
alliés de Washington.
C’est bon d’avoir des amis.
PS2 : à toutes fins utiles,
voici
comment contourner
PRISM