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Souveraineté libanaise: survol d'une période cruciale
Suite à l'attentat du 25 mai 1987 qui coûta la vie à Rachid Karamé, premier ministre du gouvernement Gémayel, M. Sélim Hoss fut nommé Président intérimaire du Conseil des ministres le 1er juin de cette même année, avec pour mission d'expédier les affaires courantes de l'Etat dans l'attente de la formation d'un nouveau gouvernement.
Durant le mois d'août 1988, avant l'entrée du Général Aoun sur la scène politique, différents partis et formations avaient réclamé une élection présidentielle vraiment libre, sans pression extérieure. Election pour laquelle, d'ailleurs, Dany Chamoun s'était proposé comme candidat.
Bien que plusieurs candidatures furent pressenties, les consultations américano-syriennes allaient bon train depuis quelques temps et donnèrent naissance à un accord entre les deux pays : l'accord Murphy-Assad, qui prétendit imposer M. Michaël El-Daher à la présidence...du Liban. Aussi les élections qui auraient dû s'opérer le 10 puis le 18 septembre 1988 n'obtinrent pas le quorum voulu à ces dates.
Le 21 septembre, conscient de l'impasse qui se profilait, Amine Gémayel s'était rendu à Damas pour tenter de trouver une solution autre que la nomination de Michaël Daher à la présidence du Liban. Mais la Syrie resta intransigeante et n'admit pas la remise en question de son choix.
Le 22 septembre 1988 le Président Amine Gémayel, ainsi acculé à prendre une décision et ayant perdu tout espoir de voir son mandat prorogé décida, à 23 heure 45, de nommer par les décrets 5387 et 5388, le Général en chef de l'armée libanaise, Michel Aoun, premier ministre et chef du gouvernement.
Ce gouvernement de transition, formé par un nouveau Conseil des ministres de tous bords, mit constitutionnellement fin à l'ancien Conseil des ministres, au demeurant démissionnaire, dirigé jusque-là par M. Sélim Hoss.
Mais la Syrie n'entendait pas se faire damer le pion sans réagir et exerça de multiples pressions, jusque sur la famille directe de M. Sélim Hoss selon certaines sources, pour obliger ce dernier à continuer, au mépris de la Constitution libanaise, d'administrer l'Ouest sous occupation syrienne. Ainsi, les ministres musulmans de l'Ouest, nommés également dans le cadre du gouvernement légal du Général Aoun, ne purent se joindre à lui et ce dernier se vit contraint à assumer leurs ministères avec seulement deux autres généraux chrétiens : Edgar Maalouf et Issam Abou Jamra.
Cette nomination porta un coup terrible au plan américano-syrien qui était ainsi mis en échec, du moins provisoirement. Tout fut donc fait pour que cette nomination, au demeurant parfaitement conforme à la constitution libanaise, ne soit pas reconnue internationalement. Par ailleurs, une campagne de désinformation fut instantanément orchestrée pour attribuer au Général Michel Aoun le rôle de rebelle, de fauteur de trouble, dans lequel on allait le cantonner jusqu'à son éviction.
Au sujet de la légalité de la nomination du gouvernement Aoun, le Professeur Roland Drago, de l'Université de Droit, d'Economie et de Sciences sociales de Paris, écrivit dans une consultation : "La Présidence de la République étant vacante depuis la cessation des fonctions de M. Amine Gémayel le 23 septembre 1988, et l'assemblée ayant été dans l'incapacité de lui désigner un successeur dans le délai prévu par l'article 73 de la Constitution, les pouvoirs du Président de la République sont détenus à l'heure actuelle dans les conditions prévues par l'article 62 de la Constitution : En cas de vacance de la Présidence de la République, pour quelque raison que ce soit, le pouvoir exécutif est exercé, à titre intérimaire, par le Conseil des ministres". A savoir, celui nommé, conformément aux articles 53 et 54 de la Constitution, par Amine Gémayel juste avant l'expiration de son mandat et selon les décrets susmentionnés. Décrets au sujet desquels le Professeur Drago ajoutait : "On mentionnera encore que les Décrets précités du 22 septembre l988 mettent fin aux fonctions du gouvernement présidé par M. Sélim Hoss, président par intérim du Conseil des ministres démissionnaire".
Après trois mois passés à essayer tant bien que mal de réaliser son plan d'unification et de libération du territoire, le général Aoun décidait alors de faire appel à la Ligue arabe pour l'aider à trouver une solution face à l'intransigeance syro-américaine.
Le 14 janvier 1989, les ministres des Affaires étrangères de la Ligue se réunirent donc à Tunis dans ce but, et convoquèrent le général Michel Aoun, le Dr Sélim Hoss et M. Husseini, Président démissionnaire de l'Assemblée, pour une rencontre censée amorcer l'entente des différentes forces en présence. Réunis tous trois le 30 du même mois, le gouvernement tunisien fit couper toutes les lignes téléphoniques entre l'hôtel où les trois hommes résidaient et l'étranger.
On remarqua pourtant, à ce moment, que l'ambassadeur syrien à Tunis prit MM. Hoss et Husseini dans sa voiture et que, suite à cet entretien resté secret, les deux leaders de l'Ouest refusèrent dès lors de discuter avec le général Aoun...
De retour au Liban ce dernier décida en date du 11 février 1989, d'une part l'ouverture des passages entre l'Est et l'Ouest à Beyrouth pour faciliter les retrouvailles de la population et d'autre part, la création d'une Chambre maritime pour réglementer les ports illégaux, sources de revenus et de contrebande utilisés par les milices et l'armée syrienne pour le trafic de drogues, d'armes et servant accessoirement de point de départ à quelques actions terroristes ponctuelles contre Israël. Il s'agissait de ports ouverts sans autorisation gouvernementale durant les 14 ans de guerre : à l'Est le 5ème bassin du Port de Beyrouth tenu par les Forces Libanaises, au Nord le port de Sélaata tenu par les Maradas de l'ex-Président Frangié et, à l'Ouest, les ports de Jyeh et Khaldé tenus par la milice de Joumblatt.
Cette double décision fut fort bien accueillie par la population tant à l'Est qu'à l'Ouest, mais pour se conformer à la volonté syrienne, les leaders de l'Ouest s'opposèrent à ces mesures et les déclarèrent nulles et non avenues au lendemain de leur mise en place. Ce fut alors le début des bombardements et du blocus des ports de l'Est auquel le général Aoun répondit par le blocus de l'aéroport international de Beyrouth.
Parallèlement la milice des Forces Libanaises, conduite par un Samir Geagea très discret, renforçait l'emprise territoriale et administrative de sa milice, créant ainsi un mini-Etat au sein même d'un Etat déjà divisé. Leur territoire d'influence s'étendait de l'immense quartier d'Achrafié jusqu'à la ville portuaire de Jounieh, puis des villages du Haut-Metn jusqu'à la Caisse nationale de Dbayé.
L'unité libanaise devant obligatoirement passer d'abord par l'unité sans réserve des régions libres, Aoun se heurta alors pour la première fois de manière explicite au refus d'alignement sur l'armée régulière de la part de la milice. Le commandement FL fit la sourde oreille aux appels à la coopération d'Aoun et, finalement, ces "pourparlers" débouchèrent sur une première série d'affrontements fratricides entre le 14 et le 21 février l989.
Alors que l'armée libanaise l'emportait sur tous les fronts le général Aoun, cédant à de multiples pressions internationales, accepta un accord par lequel, en signe de soumission à la légalité, les Forces Libanaises restituèrent le 5ème bassin du port à l'armée. Au Nord, de son côté, M. Frangié remit également à la légalité le port de Sélaata.
A ce moment un document intéressant fut révélé au grand jour. Il s'agissait d'une lettre officielle datée du 5 février 1989 et adressée à M. Nagib Haman, propriétaire des éditions Haman pour la culture, sises à Jounieh. L'expéditeur en était le Ministère de l'information de la République arabe syrienne dont elle portait le cachet et la signature. Le contenu de cette lettre était le suivant : "Nous vous envoyons le dossier concernant les informations du territoire arabe syrien avec les corrections à ajouter pour les informations dans le monde arabe que vous allez publier dans votre édition de 89/90". Suivait cette introduction une page complète de ces fameuses corrections dont voici un bref extrait : "La correction de la partie géographique se fait en entier comme suit : La République Arabe Syrienne se situe sur la côte Est de la mer Méditerranée. Elle est limitée au nord par la Turquie, à l'Est par l'Irak, au Sud par la Jordanie et à l'Ouest par la mer Méditerranée... La côte syrienne est d'une longueur de 183 Kilomètres le long de la Mer Méditerranée. Les plus hautes cimes sont...". Selon ce document, géographiquement du moins, le Liban n'existait pas...
Le 6 mars 1989 le général Aoun réactiva la Chambre maritime et interdit de manière effective l'accès aux ports illégaux encore aux mains des milices et de l'armée syrienne. Ce fut cet épisode des ports illégaux qui accéléra alors le processus d'invasion syrienne.
De son côté, l'ancien Parlement usa encore de sa fausse officialité et déclara la mesure d'Aoun sans valeur.
Aussitôt l'artillerie syrienne avait bombardé le port de Beyrouth, et immédiatement les affrontements s'intensifièrent entre l'armée du Général prise sous le feu croisé des Syriens, des milices de l'Ouest et de la milice druze de Walid Joumblatt. Seule les FL persistaient dans une politique sournoise dont le bas profil atteignait des profondeurs inégalée.
Le 14 mars 1989 Aoun déclara la Guerre de Libération contre l'occupant et, le 20, il demandait officiellement à la Syrie de retirer ses troupes et invitait les régions sous contrôle syrien à se soulever.
Ce fut là encore l'intensification des bombardements des régions Est par l'artillerie syrienne installée dans la Békaa, le Chouf et à Beyrouth-Ouest.
En réponse à cette soudaine dégradation de la situation, le 4 avril à Paris, 40 personnalités françaises se rendirent à l'ambassade du Liban pour solliciter la nationalité libanaise comme appui moral à l'action du Général Aoun. Le lendemain, M. Jean-François Deniau, vice-président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, vint à Beyrouth en signe de solidarité également et, comme par hasard, quelques obus s'abattirent aux alentours de l'ambassade de France. Ce même jour, le Pape demandait à son tour le retrait immédiat de toute les forces non-libanaises du Liban et la reconstruction de ses institutions. Conjointement à Paris, le ministre Roland Dumas déclara qu'un règlement définitif ne prendrait place que par le retrait de toutes les forces non-libanaises.
Le 6 avril, le Président François Mitterrand lui-même prenait aussi position en faveur de l'action du Général.
Entre le 12 et le 14 avril, la mission humanitaire de M. Kouchner fit un bref passage et évacua quelques dizaines de blessés des deux bords et le 30 avril, le Parlement européen réclamait à son tour le départ de toutes les forces étrangères du Liban.
Les 23 et 26 mai, le Comité tripartite formé par le roi Hassan II du Maroc, le roi Fahd d'Arabie Saoudite et le président algérien Bendjedid se réunissait pour la première fois au Maroc, à Casablanca, en vue de trouver une solution.
Le 27 mai en Algérie, à Oran, le Triumvirat appela à l'arrêt des violences, à la levée du blocus ainsi qu'à la discussion, hors du Liban, d'un document dit : d'entente nationale.
Les fronts restèrent silencieux quelques temps et, le 4 juin, le Comité tripartite se retrouvait à nouveau au Maroc, mais à Rabbat cette fois, pour élaborer un plan de travail. Les ambassadeurs de la Troïka, avec à leur tête le ministre algérien Lakhdar El Ibrahimi, se rendirent à Damas pour des négociations dont ils étaient revenus les mains vides. A la fin du mois, le Comité s'était à nouveau réuni en Algérie d'où ils demandèrent à Hafez el Assad de retirer ses troupes aux fonds de la Békaa dans un délai de six mois.
Le Président syrien, apparemment sûr de ses appuis, répondit par la reprise des bombardements sur les régions libres de l'enclave chrétienne.
Le 5 juillet, le président François Mitterand ainsi que le numéro un soviétique Michael Gorbachev demandèrent un cessez-le-feu et la réactivation du Comité tripartite.
Après un mois de travail le Comité déclara avec regret, en date du 31 juillet, que sa mission était dans l'impasse sur le plan sécuritaire et politique en imputant cet échec à la Syrie.
La conception exposée par le Comité soulignait l'importance de l'établissement d'un calendrier programmé au terme duquel le gouvernement d'unité nationale étendrait son autorité sur l'ensemble du territoire par le truchement de ses propres forces.
Selon la position syrienne, cette question du déploiement de la souveraineté libanaise ne devait pas être tranchée d'une manière préliminaire en base d'un délai arrêté d'avance et devait être laissée pour être étudiée après la formation d'un Cabinet libanais d'entente nationale. Il était clair que cette position syrienne ne concordait pas avec les vues du Comité qui pensait que pour que l'on puisse progresser sur la voie des réformes politiques réclamées par certaines parties libanaises, il fallait nécessairement donner suite aux revendications d'autres parties libanaises concernant le rétablissement clair, sans ambiguïté, de la souveraineté singulière de l'Etat libanais. Rétablissement que le Comité avait retenu comme principe valable dans son document de travail. Les divergences fondamentales entre le travail du Comité et la position syrienne ne concernaient rien de moins que la souveraineté du pays, dont Damas ne voulait pas entendre parler.
Aussi, le Comité estima-t-il que sa mission était parvenue à l'impasse et son rapport fut publié par erreur grâce à Yasser Arafat. Rapport dans lequel donc le Comité imputait clairement l'échec de ses négociations à la Syrie.
Deux semaines plus tard, le 15 et le 17 août, la flotte française quitta Toulon pour s'approcher des côtes libanaises mais s'en éloignait curieusement très vite dès le 26. Le lendemain, Roland Dumas réclamait une nouvelle fois le retrait des troupes israéliennes et syriennes du Liban.
Le 3 septembre, sachant que la diplomatie américaine était entrain d'intervenir auprès de la Troïka par le truchement d'une rencontre entre le Prince Saud-el-Faysal, fils du Roi Fahd d'Arabie Saoudite, et le secrétaire d'Etat américain James Baker, le général Michel Aoun déclara que l'Amérique s'apprêtait à vendre le Liban à la Syrie.
Un sit-in s'organisa alors devant l'ambassade des Etats-Unis et, feignant d'y reconnaître une action terroriste, Washington évacua le personnel complet de son ambassade le 6 septembre...
Les 13 et 14 septembre, la Troïka arabe se retrouvait alors à Djedda pour "réviser" les conclusions de son premier rapport qui donna ensuite naissance, le 16 du même mois, à la publication d'un communiqué en 7 points dont le développement offrait, à terme, tout pouvoir à la Syrie dans les affaires libanaises.
Ainsi, entre le premier août et le 15 septembre, le Comité tripartite avait-il changé radicalement les conclusions de son rapport sous l'impulsion américaine.
Le 18 septembre, M. Ibrahimi rencontrait le général Aoun qui accepta la partie du communiqué visant les problèmes sécuritaires, mais émit des réserves quand à ses aspects politiques. Ce à quoi Ibrahimi répondit que c'était un "Package deal", une sorte de kit complet à prendre ou à laisser.
Deux jours plus tard, le 20 septembre 1989 à Beyrouth-Ouest, le député musulman Nazem el-Kadri fut assassiné alors qu'il tentait de rencontrer le général Aoun au palais de Baabda.
Mis au pas, les députés libanais furent convoqués à Taëf dix jours plus tard, pour discuter du fameux document d'entente nationale. Fort réticent quand à l'efficacité et la liberté de cette réunion, le général Aoun demanda alors aux députés de ne pas s'engager avant qu'une décision ferme n'aie été prise concernant l'évacuation des troupes syriennes hors du territoire libanais, et de n'admettre aucune réforme constitutionnelle avant ce retrait.
Le 1er octobre, le Premier conseiller à l'ambassade US à Beyrouth se rendait également à Taëf où se trouvaient déjà 62 députés libanais parmi les 73 encore vivants d'une Chambre devant légalement en compter 99. Députés qui, au passage, avaient largement abusé du principe d'auto-prorogation, en reconduisant eux-mêmes la validité de leurs mandats quelques sept fois successives depuis 1976.
Le prince Saud-el-Faysal donna le ton aux congressistes en leur précisant qu'il était "interdit d'échouer".
Le 10 octobre, devant l'inanité du dialogue, le général Aoun demanda aux députés de revenir, mais aucun n'obtempéra sur le moment et les discussions se prolongèrent.
Enfin, le 22 octobre 1989, 58 députés approuvèrent l'Accord de Taëf à main levée. L'un s'absenta : le Dr Pierre Daccache, trois se retirèrent, et trois autres votèrent avec des restrictions.
L'Accord voté à Taëf comportait trois volets. Le premier comprenait un remerciement à l'armée syrienne pour son aide à étendre sur tout le territoire l'autorité du futur gouvernement. Le deuxième impliquait la nomination, et non l'élection, de 37 députés sur 108 (par qui, comment ?), ce qui octroyait dès lors au futur Parlement chargé des réformes et des discussions avec le gouvernement syrien une majorité confortable à qui aurait évidemment procédé à ces nominations. Le troisième, lui, précisait, alors que le retrait des israéliens était clairement exprimé, que celui des Syriens ne devait avoir lieu qu'après les réformes. C'est à dire à une date indéterminée et en excluant la Békaa et la montagne, à savoir, les points stratégiques du Liban. De plus la Syrie n'étant pas signataire de cet Accord, ne s'engageait en aucune manière à retirer ses troupes même ultérieurement. Par ailleurs, le Président de la République était dépouillé de la quasi totalité de ses prérogatives en faveur du Premier ministre et du Conseil des ministres. Etant donné la composition de ce dernier, le renforcement du Premier ministre aux dépens du Président de la République ne manquait donc pas de consacrer la lourde hypothèque syrienne sur les décisions intérieures libanaises.
Pour éliminer la participation populaire au décision politique un stratagème astucieux fut encore élaboré dans cet Accord. En effet, pour sa formation, le gouvernement était tributaire de la Chambre des députés. Il ne pouvait exercer ses prérogatives qu'après avoir obtenu la confiance du législatif, et pouvait être renversé à tout moment par le vote d'une motion de censure. La Chambre, quant à elle, ne pouvait être dissoute que dans deux hypothèses : Si elle s'abstenait de se réunir en session durant une période d'un mois malgré une double convocation, ou si elle rejetait globalement le projet du budget. Le gouvernement n'avait donc pas la possibilité de dissoudre la Chambre pour s'en remettre au peuple en cas de conflit politique : les hypothèses de dissolution prévues par l'Accord étant uniquement d'ordre technique et dépendant, de toute façon, du bon vouloir du législatif. Le jeu parlementaire était ainsi éliminé et le peuple exclu de toute participation dans les affaires du pays.
La direction du pays se déroulait donc au profit exclusif de la Chambre qui détenait l'arme de la censure contre le gouvernement, alors que ce dernier était dépouillé de sa prérogative parlementaire de dissolution de la Chambre. La Chambre des députés étant, d'ores et déjà, acquise à la Syrie, l'Accord de Taëf n'était donc conçu que pour lui offrir toute la marge de manœuvre qu'elle pouvait encore désirer dans les affaires intérieures libanaises.
Les députés de l'Est furent alors invités par le Général à venir expliquer leur vote devant l'opinion publique et à discuter de la situation, mais tous préférèrent rester à l'étranger.
Le 27 octobre, dans une conférence de presse, le général Aoun expliqua à la population la réelle teneur des accords de Taëf et menaça déjà de dissoudre le Parlement.
Le 31 au soir, le général Aoun invita les députés à revenir à l'Est, leur assurant sécurité et liberté d'opinion mais menaçant encore ce Parlement de dissolution s'ils acceptaient de se réunir pour une session en vue d'élire un président de la République. Seul le député Pierre Daccache qui avait déjà quitté Taëf au jour du vote rentra à Hadeth au péril de sa vie.
C'est alors que le général Aoun apprit que les députés allaient malgré tout se réunir sous contrôle syrien pour élire un Président.
Ainsi, le Général avait-il dissous le Parlement par décret motivé No 420, en date du 4 novembre 1989. Dissolution sur laquelle le Professeur Drago statua, au terme d'une large étude, que celle-ci était bel et bien conforme à la constitution libanaise ce qui, a fortiori, empêchait la Chambre des Députés de seulement se réunir et à plus forte raison d'élire un Président.
Malgré cela les députés déchus de leurs fonctions se rencontrèrent à l'aérodrome de Qlaïaat, contrôlé et utilisé par les troupes syriennes, où ils élirent de manière parfaitement anticonstitutionnelle le Président René Moawad.
Le 18 novembre, l'ambassadeur américain MacCarty présenta ses lettres de créance au "Président" et, dans sa déclaration, s'étonna du silence des leaders de l'Est devant les agissements du général Aoun. Ce qui en langage à peine dissimulé n'était ni plus ni moins qu'une invitation aux Forces Libanaises à se retourner militairement contre le général Aoun, puisque ces derniers ne disposaient d'aucun autre moyen d'influence.
Le fossé était définitivement creusé entre le gouvernement constitutionnel de Michel Aoun et le gouvernement mis en place par Damas et Washington.
Le 22 novembre 1989, jour de la fête de l'indépendance, le Président René Moawad fut assassiné sur le boulevard al Zarif en raison, semble-t-il, de sa tiédeur envers les exigences syriennes.
Dès le 24, avant même les funérailles du Président martyr, les ex-députés étaient à nouveau rassemblés d'office à Chtaura, QG des Services de Renseignements syriens de la Békaa, pour élire un nouveau Président.
Le ton fut donné par ce dernier deux jours après son entrée en fonction dans une première déclaration officielle par laquelle le nouveau "Président", Elias Hraoui, annonça sur les ondes nationales qu'il allait, je cite : "enculer Aoun à sec", dixit le "président" libanais Elias Hraoui le 26 novembre l989 sur la radio officielle du Liban.

P.V.