Stratégie du CHAOS et retour de manivelle
18/09/2012 L’Empire US a atteint les limites de son expansion et le reflux de sa puissance s’accélère, inéluctable, mécanique. La fronde décomplexée des pays du Brics en général, de la Chine et de la Russie en particulier, témoigne de ce changement de paradigme. Les lignes de fracture de la géopolitique mondiale se redessinent ainsi sous nos yeux. Poussé dans ses derniers retranchements, incapable d’inverser le cours de l’Histoire, l’Empire se jette aujourd’hui à corps perdu dans la terreur pour tenter de ralentir son déclin en semant le chaos partout où il échoue à maintenir ou imposer sa domination, comme en Syrie. Pour l’occasion, les méchants jihadistes combattus durant dix ans de War on terror sont donc redevenus les Freedom fighters de l’Empire. Mais les premiers retours de manivelle ne se sont pas fait attendre.
Des méchants jihadistes aux
Freedom fighters
Si la chose n’impliquait pas des fleuves de sang et de douleur, on
pourrait presque en rire. Durant dix ans, la narrative officielle du
Bloc occidental emmené par Washington s’est résumée à la fameuse
War on terror sensée faire
triompher le monde libre des ténèbres du fanatisme et de l’obscurantisme
des jihadistes musulmans. C’était la guerre contre al-Qaïda,
souvenez-vous, et ses hordes de barbus égorgeurs d’enfants et poseurs de
bombes.
Au nom de cette vertueuse lutte du bien contre le mal –
qui servait en fait de couverture
au repositionnement stratégique des forces occidentales après la chute
de l’URSS–, on a donc tué un peu plus d’un million d’Irakiens ; des
dizaines de milliers d’Afghans ; on a bombardé la Somalie ; fait éclater
le Soudan ; envoyé des flottes de drones sur le Yémen et lancé à nouveau
des hordes de coupe-jarrets sionistes sur le Liban.
Puis ce fut la crise des subprime, et la première rébellion de l’ex-URSS
en Ossétie du Sud où Moscou avait envoyé ses chars pour bloquer la
progression atlantiste. La fin de partie était sifflée et le début du
reflux commençait pour l’Empire.
Désormais
ruinée à l’intérieur, épuisée sur tous ses fronts extérieurs,
l’hyperpuissance étasunienne a un genou à terre et la poussée des
prétendants au trône se fait
lancinante. Ivre de sa propre narrative, l’Empire nourrit pourtant
l’illusion qu’il peut toujours renverser la vapeur et faire barrage à la
montée en puissance de ses rivaux asiatiques.
En instrumentalisant le Printemps arabe, il pense même avoir trouvé le
levier idéal pour enclencher de grandes manœuvres de
regime change au
Moyen-Orient, histoire de reprendre la main après la débâcle irakienne
et le retrait annoncé d’Afghanistan.
Dans les grandes lignes, sa stratégie est de briser l’arc de résistance
chiite sur lequel s’appuient ses challengers asiatiques, arc de
résistance qui va de l’Iran à Gaza, en passant par la Syrie et le
Liban-Sud. L’idée est bien sûr d’y installer des régimes soumis pour
s’assurer le contrôle de ce fameux
Nouveau Moyen-Orient, et
accessoirement de ses ressources.
La très opportune mort du
fantôme de Ben Laden
a accessoirement permis de sonner le coup d’envoi de la réhabilitation
des méchants jihadistes d’al-Qaïda en
Freedom fighters de l’Empire.
Le pilonnage de la Libye et le
lynchage «hilarant» de Khadafi ont ensuite donné le ton.
Terre brûlée en Syrie
Aujourd’hui, ces mêmes
Freedom fighters ont déferlé en masse sur la Syrie en provenance de
Libye, d’Afghanistan, d’Algérie, de Tunisie ou de Turquie. Selon de
récentes estimations, ils constituent plus d’un quart des effectifs de
la so call rébellion en
Syrie. Et là aussi, le ton est donné avec la généralisation
d’une barbarie sans nom qui nous rappelle les années sombres du GIA
en Algérie.
Or malgré les carnages, les massacres, les tortures et les exécutions
sommaires dont ils se rendent coupables, les insurgés syriens continuent
d’avoir le soutien total d’un Bloc occidental qui les cautionnent
politiquement, les arment, les financent et leur offre tout l’appui
logistique voulu.
C’est que face à la ligne rouge tracée par la Russie et la Chine dans ce
pays, l’Empire a choisi la politique de la terre brûlée avec pour
objectif de plonger délibérément
la Syrie dans la guerre civile, histoire de rendre, en quelque sorte, le
pays impropre à la consommation pour ses rivaux durant les dix
prochaines années.
Le début du retour de manivelle
Sauf que les limites de l’exercice sont déjà atteintes. Dans une
Libye désormais en voie de «somalisation», les
Freedom fighters de l’Empire
ont vite repris leur autonomie et, après la diffusion d’un film
américain de série B insultant le Prophète Muhammad, ils ont tués
l’ambassadeur et trois employés américains de la mission de Benghazi.
Bien sûr, la Maison-Blanche s’éreinte laborieusement à établir depuis un
distinguo entre gentils et méchants jihadistes, c’est-à-dire entre les
néo-freedom-fighters de
l’empire et irréductibles d’al-Qaïda-Origin.
On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.
Reste qu’à voir
l’incroyable arsenal que le Bloc occidental
livre aveuglément aux jihadistes
de Syrie aujourd’hui (via ses
alliés du Golfe, de Turquie et du Liban), on ne peut s’empêcher de
se demander à quoi – et surtout contre qui–, il servira lorsque la
poussière sera retombée sur les ruines syriennes.
Là aussi, le distinguo entre méchants et gentils jihadistes promet
d’être laborieux.