La Suisse emportée par la peur ?

Il y a quelque chose d’infâmant pour la Suisse dans l’initiative des extrémistes de l’UDC et de leurs zélateurs pour interdire la construction de minarets dans le pays. Infâmant car elle salit un peu plus un pays déjà entaché par des images peu glorieuses liées au cynisme de sa haute finance, à l’affaire des fonds en déshérence notamment. Désormais, c’est l’image d’un pays raciste qui est en passe d’émerger. Car voilà une Suisse qui, tout à coup et sans raison, semble cracher au visage des 400'000 Musulmans qui y vivent en bonne intelligence avec la population de leur pays d’accueil. En bonne intelligence car rien, absolument rien, aucun événement particulier (nonobstan cette réalité humaine à laquelle nous souscrivons volontiers et qui veut qu'il y ait la même proportion de crétins et/ou d'extrémistes chez les Musulmans que chez les Suisses), rien en particulier disions-nous, qui justifie cette soudaine poussée de fièvre islamophobe.
Lors d’un débat télévisé sur le sujet mercredi dernier, le seul reproche tangible fait aux Musulmans pour étayer l’idée fumeuse d’une « islamisation rampante », a été de dénoncer… je cite : « (…) les demandes de plus en plus nombreuses de dispense pour les cours de natation dans les écoles». Durant le débat, les xénophobes de l’UDC  n’ont cessé d’aligner les poncifs en se référant à la Charia ou à des textes prônant bien sûr l’expansion de l’Islam puisqu’écrits au… VIIIéme siécle.
Bref, ils n’ont pu expliquer pourquoi il était nécessaire d’interdire la construction de minarets en Suisse, où seuls quatre (oui, 4) de ces édifices existent à ce jour. Sauf évidemment à brandir le spectre de cette fameuse « islamisation rampante », fantasme absolu, construction virtuelle exemplaire d’absurdité propagée par ces théoriciens du choc des civilisations qui furent, rappelons-le, les idéologues du règne sanglant de W. Bush.
Il y avait ainsi quelque chose de terriblement pathétique à entendre le héraut de l’UDC affirmer, en substance, que ne pas s’opposer à cette fameuse islamisation rampante [les dispenses dans les piscines donc] était le signe de «l’agonie de notre civilisation » (SIC).
Comme si l’agonie, bien réelle toutefois, de notre civilisation, avait quelque-chose à voir avec l’Islam. Mais ceci est un autre débat qu’à l’évidence, préférant le fantasme à la réalité, l’élite de l’UDC n’est pas intellectuellement équipée pour appréhender.
Revenons donc à nos moutons.
Alors que nous apprend véritablement cette initiative sur leurs instigateurs?
Pas grand-chose de nouveau assurément. Il y a les politiques, sans doute peu convaincus par leurs propres divagations mais prêts à se rouler dans la fange du populisme le plus crasse pour exister, et qui ont fait depuis longtemps de l’exploitation des peurs et des angoisses les plus irrationnelles leur nauséabond fond de commerce. Rien de nouveau donc.
Et puis il y a les militants : xénophobes honteux puisque préférant se faire désormais appeler « identitaires », question d’image. Rien de nouveau non plus de ce côté-ci.
Le caractère irrationnel de leur pulsion nous apprend au moins que Politiques et militants identitaires ont en commun un épouvantable sentiment de frustration, de faiblesse, d’insignifiance, de doutes sur leurs propres valeurs qui leur fait reporter sur l’Autre, l’Etranger (hier les Turcs, les Kosovars, les Africains, aujourd’hui les Musulmans), la responsabilité du malaise qu’ils ressentent. Le mécanisme est connu, très ancien. Pour supporter l’absence de sens de son existence, pour supporter son insécurité, sa peur du vide en somme, rien de tel qu’une sacralisation du groupe poussée à son paroxysme, c'est-à-dire jusqu’à la haine de l’Autre. Car au fond, si l’on est sûr de sa foi, de sa force, de ses valeurs, qu’a-t-on à craindre de l’Autre ?
Et puis il y a les milliers de citoyens lambda qui ont signé cette initiative et qui, selon certains sondages, voteront en sa faveur. Des citoyens qui ont importé leurs angoisses de réalités qui n’ont rien à voir avec leur environnement, mais qui se laissent manipuler, tromper, parfois volontiers hélas, faisant l’économie de la raison pour céder à la peur.
La peur, qui est peut-être finalement le moteur de toute l’affaire. La peur de l’Autre, de la différence. La peur du changement. Cette peur qui provoque l’agressivité, cette agressivité qui trahit la faiblesse, la lâcheté. La peur donc, et la faiblesse, qui gouvernent les esprits et les cœurs jusqu’à la nausée.
Aujourd'hui, en Suisse, loin d'avoir ouvert un débat utile comme se plaisent à dire certains commentateurs agréés du système, l'UDC n'a ouvert que les vannes d'un discours nauséabond. Les rues helvétiques s'en trouvent envahies d'affiches injurieuses, puant le mal-être et le fiel dans un climat pesant et sale qui fait insulte aux Musulmans et aux Suisses attachés à certaines valeurs que l'on croyait acquises dans ce pays.