flots de sang pour lignes rouges


20/03/2012
Situé au croisement de plusieurs grandes lignes de fractures géopolitiques, le Liban a servi durant plus de vingt ans d’entonnoir et de fusible à toutes sortes de crises régionales et internationales. Les Israéliens, les Américains, les Français, les Iraniens, les Syriens et les Palestiniens notamment y ont fait la guerre directement et indirectement, le plus souvent par milices interposées. Puissance occupante du Liban durant les quinze ans qui ont suivi la fin officielle de cette prétendue guerre civile, la Syrie est peut-être, ironie de l’Histoire, en train de reprendre le rôle tragique de son petit voisin.
La crise syrienne a marqué le grand retour aux affaires de la Russie et de la Chine qui ont osé contrer le Bloc atlantiste sur ce dossier. Mais la bataille est loin de se cantonner au seul champ diplomatique et, sur le terrain, tous les ingrédients d’une guerre de tranchées entre grandes puissances sont désormais réunis.

Un cortège de sang et de ténèbres
Il y a quelque chose de réellement fascinant à constater que les vertus revendiquées par le Bloc atlantiste n’ont plus pour véhicules que le fracas des armes, la torture sous-traitée, les massacres de masse et les campagnes d’assassinats dans un immense et monstrueux carnaval, comme si l’Occident, subitement devenu fou, prétendait apporter les Lumières au monde en y déroulant un cortège de sang et de ténèbres.
Rarement dans l’Histoire, et peut-être même jamais, une puissance n’a agit à ce point de manière absolument contraire aux valeurs qu’elle prétendait incarner, ne les a trahies avec tant de force et de constance, tout en étant absolument persuadée – et c’est bien là toute la singularité de la chose– de ne point le faire.
Il faut nécessairement se placer dans le champ de la pathologie pour trouver une explication convaincante à une telle inversion, une telle perversion de la pensée. Ensuite, s’agissant de l’origine de la maladie, il faut sans doute chercher l’explication dans une sorte de réponse au stress provoquée par l’impasse dans laquelle notre contre-civilisation se trouve, et l’angoisse vertigineuse que suscite son déclin. Une forme de déni exacerbé en somme, où le Système choisit la fuite en avant plutôt que d’affronter son échec, et impose à tous de prendre pour vertueux ce qui est abject, pour réussi ce qui est échec, pour Lumière ce qui est Ténèbre, le but final étant tout simplement d’assurer sa survie avec le fameux mot d’ordre TINA (There is no alternative).
Dans cette effarante entreprise de mystification globalisée, l’hystérie passionnée qui habite les éditorialistes de
la presse-Système n’est qu’une illustration de ce formidable mensonge à soi-même, de cet égarement collectif qui pousse les plus obscurs tâcherons de la média-sphère à encourager le meurtre, le chaos et la guerre sous l’étendard des Lumières.
C’est le temps du déni, le temps de l’aveuglement, le temps du mensonge qui poussent à toujours davantage de fureur pour tromper la peur.

L’offensive hystérique du Bloc de l’Ouest
Du côté du Bloc atlantiste, autoproclamé «communauté internationale» comme on le sait, on encourage l’extrémisme, on inonde bien sûr les insurgés d’armes et de munitions, principalement via la Turquie ou le clan Hariri au Liban, et on dépêche ses éternelles forces spéciales pour prêter mains fortes aux rebelles (avec un succès très relatif cela dit). Parallèlement, on poursuit bien sûr l’offensive médiatique en espérant pouvoir déclencher à terme une énième guerre humanitaire pour sauver, selon la narrative du Bloc, des opposants bisounours massacrés par un immonde tyran.
Rappelons que pour le Bloc, Damas est simplement une cible secondaire dont la chute doit permettre d’isoler et d’affaiblir Téhéran, mais aussi le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. Quant aux pétromonarchies sunnites engagées derrière l’Occident sur cette ligne de front, elles suivent leur propre agenda dans la compétition qui les oppose à l’Iran chiite pour le leadership musulman.

Tir de barrage russe (chinois, iranien et… irakien)
Côté Russe, on est désormais assez largement engagé sur le terrain aussi, l’Iran et la Syrie étant des lignes rouges pour Moscou. Comme nous le relevions dans notre brève du 9 mars, la Russie semble ainsi avoir
déjà fourni au régime syrien un armement des plus adapté pour contrer une éventuelle agression de l’OTAN. Les spécialistes évoquent la livraison de batteries de missiles sol-air S-300PMU-2, ou encore de batteries de missiles Pantsyr-S1, qui constitue sans aucun doute le plus mobile et performant des systèmes d’interdiction tactique de l’espace aérien (un seul véhicule ; deux canons de 30mm à tir rapide ; huit postes de tir de missiles sol-air SA-22 ; un appareillage de guidage par radar et de contre-mesures électroniques très performantes, notamment contre les missiles antiradar HARM ; des capacités antimissiles contre les Tomahawk ou, encore, des bombes et missiles air-sol guidés Walleye 2 et Maverick).
Proche des services de renseignements israéliens, le site Debkafile mentionne désormais la présence de «conseillers» russes en Syrie, mais aussi de conseillers Iraniens en appui à un véritable pont aérien établi par Téhéran pour soutenir les troupes loyalistes syriennes.
Détail croustillant : l’Irak libéré par la vertueuse coalition occidentale ferme très soigneusement les yeux sur le pont aérien iranien qui survole son territoire, au grand dam de l’Oncle Sam qui ne décolère pas. Confirmation, s’il en était besoin, que la bataille des cœurs ne se gagne décidément pas avec des tapis de bombes…
De leur côté, la Chine et les pays du BRICs assurent les arrières de la Russie en lui évitant l’isolement sur la scène internationale par leur soutien diplomatique.

Vers une guerre de tranchées ?
Tous les ingrédients sont donc d’ores et déjà réunis pour que l’insurrection syrienne tourne à la guerre de tranchée entre les grandes puissances qui se disputent le contrôle de la région. Ou disons plutôt, entre les puissances émergentes qui tentent de freiner la belliqueuse stratégie de conquête du Bloc atlantiste dans la région.
Car la question est désormais bel et bien posée en ces termes : d’un côté un Bloc occidental qui se pose en juge suprême et instrumentalise les institutions internationales pour exercer, au gré de ses intérêts, un droit de vie et de mort sur les régimes de la planète ; et de l’autre, une coalition de pays émergents qui lui conteste ce droit en se faisant les défenseurs de la voie du dialogue et de la négociation. Une fameuse inversion des rôles qui fait brusquement apparaître le Bloc atlantiste pour ce qu’il est vraiment, à savoir une force belliqueuse à l’exact opposé de ce qu’elle prétend être (lire encadré).
Au final, la Syrie est donc peut-être en train de devenir à son tour l’entonnoir et le fusible de ce nouvel affrontement au sommet. Et d’ici à ce que les lignes rouges soient à nouveau définitivement fixées, ce sont des flots de sang qui risquent de couler dans ce pays, sous les encouragements humides et exaltés des midinettes embedded de la presse-Système bien sûr.