De la démocratie-spectacle à la démocratie-tramway

22/11/2016 Le Système a peur. Depuis quelques semaines, sa petite machinerie à dominer pourtant si bien huilée se ramasse des pelletées de sable à travers les rouages. Pensez donc ! Le peuple à l’outrecuidance de se torcher ouvertement avec le papier à musique de sa démocratie-spectacle, votant soudain pour des gens «déplorables» pas prévus dans la partition, déjouant ses pronostics, ridiculisant ses hérauts. Et voilà que tout l’édifice menace dès lors de partir en sucette, «Brexisé» et «Trumpisé» jusqu’à la garde, avec menace de paix, de retour à la souveraineté des nations et tout le toutim. Or le Système peut tout tolérer, sauf de voir sa sainte direction remise en cause, surtout par des sans-dents. Alors il montre les siennes de dents, qu’il a fort longues et belles avec l’haleine glacée qui va avec, en décrétant la mobilisation générale pour rappeler qu’il ne peut y avoir d’alternative au paradis néolibéral globalisé où flottent ses troupeaux de bobos nomades, cool, hype et augmentés. Et surtout pour prévenir que la démocratie comme la patience du Système a ses limites, qui pourraient bien avoir été atteintes désormais.

La déclinaison Erdogan
L’autre soir, l’une des chaînes clonées du Système proposait un reportage sur le sultan Erdogan pour nous raconter l’ascension de l’homme jusqu’à la folie totalitaire, rappelant un discours désormais célèbre dans lequel il disait que la démocratie est «comme un tramway. Il va jusqu’où vous voulez aller et là, vous descendez».
L’anecdote était évidemment destinée à faire frémir d’horreur le spectateur démocrate. Avec raison d’ailleurs. Sauf qu’il semble que cette conception de la démocratie-tramway ne soit finalement pas propre à Erdogan.

La mobilisation générale du Système jusqu’à l’outrance contre Trump, puis pour signifier le rejet de son élection, de même que ses attaques désormais massives contre les voix dissidentes qui osent en contester la narrative, tout cela montre en effet que le Système et ses zélateurs ne sont pas du tout prêts à accepter le verdict des urnes dès lors qu'il pointe un autre chemin que celui qu'ils ont balisés.
C’est d’ailleurs très précisément le message qu’est venu délivrer à Berlin Obama devant l’habituel parterre rampant européen, en rappelant en substance et sous le regard humide du Kaiser Merkel «qu’il n’y aurait pas de retour au monde d’avant la [vertueuse] globalisation, que l’OTAN devait avoir un avenir radieux tout comme le libre-échange, et que bien sûr la Russie devait coûte que coûte rester le méchant de l’Histoire.» (1)
Guy Debord avait très bien résumé l’essence de ce crypto-totalitarisme du Système en affirmant que dans les démocraties libérales, «les droits dont nous disposons sont essentiellement des droits de spectateurs», c’est-à-dire qui nous laissent libres de critiquer le film qu’a décidé de nous projeter le Système, mais en aucun cas d’en modifier le scénario.

La «bonne» et la «mauvaise» information
La contre-offensive est donc officiellement lancée, et le Système a bien évidemment mobilisé ses bobos-utiles et son immense machine de propagande.
Depuis l’élection du «Grand Déplorable», la presse «de référence» multiplie ainsi les articles, opinions et autres savantes études attestant que la mise en doute de sa pensée unique relève désormais pour ainsi dire d’une forme des plus sournoises de criminalité, puisqu’elle induit le peuple dans l’erreur, une erreur qui le jette dès lors dans les bras du plus abject des populismes, source de tous les maux du Système comme chacun le sait (en effet la racine du mot populisme est «peuple»).

Les réseaux sociaux que la caste médiatique encensait hier lors des so called «printemps arabes» sont ainsi devenus un danger pernicieux, tout comme les sites dissidents et autres blogs forcément complotistes qui propagent impunément (pour l’instant) une «mauvaise information» qui contredit «la bonne information», c’est-à-dire l’information ayant l’imprimatur du Système.
En Suisse, par exemple, une étude sur la qualité des médias estime qu’un tiers des Helvètes sont désormais des «indigents médiatiques», terme désignant les adeptes de l’information gratuite sur internet. Or ce lectorat présenterait «un risque de développer une vision du monde simpliste, d’être abusé par des informations mensongères ou par la propagande, et de voter pour des mouvements populistes». (2)
Dans cette étude, ces «indigents médiatiques» sont donc implicitement considérés comme aux limites de la débilité et incapables de discernement, et les «abonnés de journaux de qualité» (SIC), eux, comme intelligents et bien informés, donc peu enclins à voter populiste...

Dans un autre monument de manichéisme intitulé «La bonne information chassera-t-elle la mauvaise?», l’auteur trie là encore doctement le bon grain de l’ivraie, avec d’un côté une presse de qualité qui «respecte les règles du journalisme » (reSIC), et de l’autre des réseaux d’information «incontrôlables» produisant «les mensonges les plus éhontés, des informations créées de toutes pièces». (3)
Ces derniers mois des centaines de productions de ce genre ont fleurit dans les médias-Système, jusqu’à la repentance publique d’un Zuckeberg accusé d’avoir favorisé l’élection du Grand Déplorable grâce aux intox circulant sur son Facebook (4).
Mais la palme revient bien évidemment au fer de lance de la presse bobo-Système, l’aberrant Libération, qui nous a pondu un tonitruant «L’ère du complotisme, le mensonge comme seule vérité» (5) qui flingue Descartes sans sommation en dénonçant «un système de pensée basé sur le doute systématique qui emprunte à l’idéologie des régimes totalitaires». Ça ne s’invente pas. L’article met dans le même sac complotisme, antisionisme, anti-impérialisme et.... les sites russes d’information Russia Today et Sputnik (régulièrement menacés de fermeture en Europe (6). Là encore, il fallait oser.

Bien sûr, aucune de ces doctes études ni aucun de ces savants articles ne remet jamais en cause cette «qualité» des médias officiels qui irait donc nécessairement de soi, alors même que depuis des années ils alignent tous à l’unisson les mêmes «mensonges les plus éhontés et les informations créées de toutes pièces» s’agissant notamment de l'Irak, de la Lybie, de la Syrie (7) ou de l’Ukraine (8), et propagent hystériquement et sans vérification aucune toute info, même totalement bidon, qui peut alimenter la russophobie voulue par le Système justement.

On l’a bien compris, toute cette bouillie pour les chats ne vise donc qu’à une chose: préparer les esprits aux douloureuses mais nécessaires mesures de censure à venir pour le Salut de la «bonne» information nécessaire à la «bonne» démocratie bien sûr.
Et si ça ne suffit pas, il y a fort à parier que, soutenus par toute la force de frappe politico-médiatique de la caste-Système, les bobos-utiles et autres happy-few prendront au besoin le relais dans la rue pour empêcher de nouveaux «déplorables» de jouer les empêcheurs de dominer en rond, bref, pour passer de la démocratie-spectacle à la démocratie-tramway.
Nous voilà prévenus.


Mis en ligne par
entrefilets.com le 22 novembre 2016

1
EU Leaders Meet Obama to Snub Trump and Praise Globalisation

2
Un tiers des Suisses sont devenus des «indigents médiatiques»

3
La bonne information chassera-t-elle la mauvaise?

4
Comment Mark Zuckerberg veut stopper l’intox sur Facebook

5
«L’ère du complotisme, le mensonge comme seule vérité»

6
L’Occident se dirige vers l’interdiction des médias russes (Strategic Culture Foundation)

7
Depuis le début de la guerre en Syrie, la quasi unique source «d’information » des médias-Système est le fameux Observatoire Syrien des droits de l’homme, une vulgaire officine de propagande liée au MI6.

8
Ukraine-Russie: quand l’Empire tombe le masque