Du «flash totalitaire» français au stroboscope US
22/05/2015 On dirait une accélération filmée au
ralenti. En vision panoramique, on voit la multiplication exponentielle
des crises qui agitent la scène géopolitique mondiale. Et si l’on zoome
sur une crise ou sur l’autre, on observe que toutes, absolument toutes,
s’aggravent et s’amplifient par la grâce d’une lente mécanique de
pourrissement quasi automatique. Moteur de ce désordre globalisé : un
Système atlantiste en décomposition qui, comme pris dans des sables
mouvants, précipite sa disparition d’autant plus vite qu’il s’agite en
tous sens. C’est que l’effondrement de sa contre-civilisation se
fracasse désormais à la fois contre la montée en puissance des pays
émergeants ; et contre le mur des contradictions de son modèle
néolibéral. Comme attendu, le Système atlantiste cherche dès lors à
persévérer dans son être par la guerre à l’extérieur (1),
et la dérive totalitaire à l’intérieur. Et là, du
«flash» français au
stroboscope US, les choses se précisent.
L’extension permanente du domaine du chaos
On ne s’étendra pas sur la guerre portée à
l’extérieur que nous commentons régulièrement ici. Signalons simplement
que toutes les crises «extérieures» pourrissent tranquillement comme il
se doit, chaque initiative du Bloc contribuant à en augmenter le degré
de désordre.
Au Moyen-Orient, le monstre Daesh que l’Occident à créer de toutes
pièces est en train de dévaster toute la région. Formellement, l’Irak et
la Syrie n’existent déjà plus. Et il est toujours fascinant d’entendre
les «spécialistes» agréés du Système atlantiste analyser la situation
dans leurs débats convenus (type
«C dans l’air»); évoquer une
«guerre de 30 ans»; évaluer dès lors les chances de la
so called «coalition», chacun
passant comme chat sur braise lorsqu’il s’agit de rappeler dans cette
affaire la culpabilité pleine et entière des USA au premier chef, et de
l’Occident en général.
Ce sont en effet eux qui, exterminant plus d’1,5 million d’Irakiens pour
une poignée de barils ; puis soutenant les djihadistes en Syrie pour
faire chuter Bachar ; puis dévastant la Libye devenu depuis la plus
grande foire aux armes à ciel ouvert du monde : ce sont eux, les Bush,
Rumsfeld, Cheney, Blair, Obama, Sarkozy, Hollande et consorts, eux les
criminels qui ont fabriqué l’Etat Islamique
(et qui le soutienne encore
d’ailleurs au moins indirectement) et qui partagent dès lors la
responsabilité de tous leurs crimes. Si la justice qu’ils invoquent
ad nauseam pour perpétrer
leurs crimes existait vraiment dans leur
monde-libre, ces gens-là
seraient arrêtés, inculpés et condamnés.
Quant au front ukrainien de la grande russophobie ambiante, la confusion
y est totale. Certes, la soudaine visite de Kerry à Lavrov au lendemain
de célébrations du 70ème anniversaire de la Victoire
– qui ont montré une Russie plus que jamais forte et unie derrière son
Président – témoigne d’un accès de panique US devant l’impasse
qu’ils ont créée en Ukraine et de leur volonté d’apaisement sur ce
dossier. Et cela au grand dam d’Européens qui ne savent dès lors plus de
quel côté ramper.
Pour autant, le risque reste grand que la guerre reprenne avant l’été
dans le Donbass à l’initiative de Kiev. Dans sa grande sagesse et son
inspiration infinie, l’Occident y a en effet installé une pègre
oligarchique plus féroce encore que l’ancienne, et dont le
jusqu’au-boutisme mafieux teinté de néonazisme apparaît comme la seule
option de survie à la fois politique et physique.
Sur le front extérieur, c’est donc l’extension permanente du domaine du
chaos.
Reste deux interprétations possibles à un tel degré d’entropie : soit la
classe dirigeante occidentale fait preuve de la plus effarante des
incompétences tant par l’ampleur que par la durée; soit ce désordre et
ce chaos, par ailleurs très lucratif (2),
sont précisément le but recherché dans une sorte de
«stratégie de tension» globalisée.
Nous y voyons volontiers quant à nous un savant mélange des deux.
Du «flash totalitaire» français…
Venons-en dès lors à ce qui nous intéresse plus
singulièrement aujourd’hui, à savoir d’observer plus en détail
l’accélération de la dérive totalitaire qui agite l’intérieur du Système
aujourd’hui.
Dans son livre «Qui est Charlie»,
Emmanuel Todd a ainsi stigmatisé le
«flash totalitaire» qui a
saisi la caste politico-médiatique française, et une partie du pays,
lors des manifestations monstres du 11 janvier après la tuerie de
Charlie Hebdo. Chacun se souvient en effet, non sans gêne, de ces
minutes de silence imposées à tous dans les écoles; de l’audition par la
police d’enfants de 8 ans pour des propos malheureux
(séditieux?); de la
comparution d’adolescents pour des tweets ou des dessins bref, de
l’obligation faite à chacun d’endosser l’uniforme Charlie sous peine
d’excommunication, voire de poursuites judiciaires.
Fameux moment «de grâce» et de
«communion» comme «ils»
disent, où la responsable du service politique de France2 avait appelé à
«repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie» (3).
Un processus déjà ancien
Mais n’était-ce vraiment qu’un flash? Ou, au contraire, le caractère
paroxystique de l’épisode n’a-t-il pas plutôt libéré une parole, une
pensée, une tentation voire une intention, jusque-là contenue,
autocensurée, dissimulée?
Bien sûr, comme le suggère Todd, la plupart des citoyens qui ont
participé à l’évènement ont «vécu
le «JeSuisCharlie» comme un épisode d’aliénation par la pensée d’autrui,
de dépersonnalisation temporaire». Mais les autres, ceux de la caste
politico-médiatique qui ont précisément construit cette pensée aliénante
et appelé à «traiter ceux qui ne sont pas Charlie»? Ont-ils eux-aussi été saisis
par une pensée étrangère à eux-mêmes? Ont-ils eux-aussi été
momentanément dépersonnalisés?
On a toutes les raisons d’en douter.
L’épisode d’aliénation «JeSuisCharlie» s’inscrit en effet dans un
processus déjà ancien d’endoctrinement et de marginalisation de toute
critique de la narrative du Système. L’incroyable désinformation de
masse qui prévaut sur les conflits irakiens, libyens, syriens et
ukrainiens témoigne ainsi d’un alignement quasi complet des médias
français sur le discours officiel de l’Etat. Ajoutez à cela le
bannissement d’intellectuels ou artistes considérés comme déviants, et
l’on retrouve des caractéristiques généralement associées aux régimes à
tendance totalitaire.
On pourrait aussi évoquer le système de parti unique à deux têtes (4);
le passage en force de lois contre l’avis du peuple (Traité de Lisbonne)
ou du Parlement (Loi Macron), pour achever de démontrer l’état de
déliquescence d’un système politique français devenu une sorte de
Canada dry de la démocratie.
Enfin, on ne saurait plus parler de «flash» concernant l’élite du pays
lorsque celle-ci instrumentalise «l’effet Charlie» pour imposer, des
mois après, un Patriot Act à la
française au travers d’une Loi sur le Renseignement totalement
inutile en matière de lutte contre le terrorisme, mais bel et bien
liberticide et dangereuse (5).
Tout en haut, le Veau d’or
Invité à se justifier devant les tribunaux audiovisuels de Charlie
pour avoir osé porté un jugement défavorable à la grande communion
cosmique du 11 janvier, Emmanuel Todd a toutefois défendu son concept de
«flash totalitaire», en soulignant que
«la France centrale est vraiment
libérale (…) anarchiste, incontrôlable», donc «incapable d’un régime totalitaire» dans la durée (6).
Malgré l’immense admiration que nous avons pour Emmanuel Todd, nous
estimons qu’il nourrit là une illusion. D’abord parce que la France
n’est qu’un rouage du Système néolibéral globalisé sous direction US
auquel elle appartient. Elle est en effet aujourd’hui totalement
embarquée sur l’Hyper-Titanic de ce modèle de contre-civilisation
prosterné devant le Veau d’or et qui, tout en
épuisant le monde, concentre tous les pouvoirs et toutes les
richesses aux mains d’une caste de plus en plus réduite d’élus dont
l’arsenal répressif, du fait des progrès technologiques, est désormais
d’une puissance absolument inégalée dans l’Histoire.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce Système néolibéral,
indépendamment des nations qui le compose et qu’il digère sans efforts,
impose uniformément la même recette de naturalisation de l’économie,
parallèlement à une lobotomisation des masses par le divertissement et
leur emprisonnement dans la dette, la précarité et la multiplication des
désirs et de leur impossibilité.
Sans rupture radicale d’avec un tel Système globalisé
(mais comment?), on voit mal comment la France pourrait
in fine se révéler
véritablement «incontrôlable».
…au stroboscope étasunien
De l’autre côté de l’Atlantique, la matrice du Système néolibéral
dispose, en matière de dérive totalitaire comme en toutes choses bien
entendu, de sa fameuse longueur d’avance.
La multiplication des meurtres racistes (7) ces dernières années, dont le caractère absolument exponentielle
pourrait faire suspecter une politique délibérée, a donné lieu à des
émeutes importantes qui ont-elles-mêmes servi de prétexte à une
militarisation des forces de police.
Sur Infowars.com, Michael Thomas a développé la thèse selon laquelle
l'administration Obama était en train de favoriser une «guerre raciale»
aux USA, avec le secret dessein qu’en opposant blancs et noirs, il
pouvait écarter le spectre d’une «guerre des classes», c’est-à-dire la
révolte des 99% contre les 1% (8).
Quoi qu’il en soit, de Fergusson à Baltimore, on a assisté à une
véritable mutation des forces de police américaines qui furent déployées
avec des tactiques et des équipements calquées sur ceux des GI en Irak
ou en Afghanistan avec mitrailleuses, drones et même des MRAP qui sont
ni plus ni moins que des chars légers.
Au-delà de cette militarisation des forces de polices, l’idée d’une
fédéralisation des polices locales fait également son chemin et l’on
observe dès lors une tendance très forte, à Washington, pour se doter
des moyens de mater des révoltes populaires de grande ampleur.
«Violente dislocation stratégique»
C’est que contrairement à la narrative, la situation intérieure des
USA est catastrophique. La pauvreté y atteint des sommets épouvantables
avec des dizaines de millions d’Américains vivant grâce aux bons
d’alimentation ; une concentration phénoménale des richesses et des
désordres sociaux permanents.
Il y a 7 ans déjà, l’US Army War College avait d’ailleurs édité un
rapport qui préconisait que l’armée se prépare à une
«violente dislocation stratégique
à l’intérieur même des États-Unis» qui pourrait être provoquée par
«un effondrement économique
imprévu», «une résistance
intérieure délibérée», «une
catastrophe sanitaire» ou «un
vide de pouvoir juridique et légal». La
«violence civile généralisée »,
dit le document, «forcerait les
responsables de la défense à réorienter in extremis les priorités pour
défendre l’ordre intérieur et la sécurité des individus.»
(9).
Or dans la situation présente, plusieurs scénarios envisagés par le
document deviennent plausibles, qu’il s’agisse de l’«effondrement
économique imprévu» – par exemple lié à l’affrontement géopolitique
en cours avec les pays du Brics et la dédollarisation qu’ils ont
entamée –; ou «une résistance
intérieure délibérée» – qui recouvrirait quant à elle une
généralisation des émeutes, ou même la tentative de sécession déjà
évoquée par certains Etats comme le Texas notamment.
Lien de confiance rompu
C’est dans ce contexte de troubles et d’incertitudes qu’il faut
placer l’émoi énorme suscité outre-Atlantique par un exercice militaire
d’une nature et d’une ampleur inédites, prévu sur le sol des Etats-Unis
en juillet prochain.
Cet exercice, baptisé Jade Helm 15,
implique notamment les forces spéciales, dont les bérets verts et les
Navy SEALS, et selon le scénario prévu le Texas, l’Utah ainsi que le sud
de la Californie y sont catalogués comme
«zones hostiles». Dans le
contexte de troubles sociaux qui prévaut aujourd’hui, certains y voient
un exercice grandeur nature pour l’application d’une loi martiale aux
Etats-Unis.
Pour prendre la mesure de l’émoi suscité par l’exercice, il suffit de
relever que le Gouverneur du Texas lui-même s’oppose à JH15 et a annoncé
qu’il mobiliserait de son côté la Garde Nationale pour parer à toute
éventualité et surveiller les agissements de l’US Army, ce qui en dit
long sur la confiance qui règne vis-à-vis des intentions de Washington (10).
Une méfiance au demeurant absolument partagée par la population.
Selon un sondage, entre 32% et 45% des citoyens US se disent plus ou
moins inquiets, et voient dans JH15 une manœuvre du gouvernement pour
établir un contrôle militaire et policier de la population (11).
A ce stade, deux constats s’imposent donc.
Le premier est que la militarisation des forces de police US témoigne du
fait que le pouvoir washingtonien tend de plus en plus à considérer le
peuple comme un ennemi potentiel, ou à tout le moins qu’il a intégré
l’hypothèse, ou la probabilité, de troubles sociaux d’une ampleur sans
précédent avec affrontements armés à la clé.
Le deuxième est que cette méfiance a son miroir. Quelle que soit la
réalité de la situation ou des intentions s’agissant de l’exercice JH15,
ce qui frappe, c’est la défiance manifeste d’une très large partie des
citoyens US vis-à-vis du pouvoir central de Washington. Le lien de
confiance entre le peuple et le gouvernement est rompu.
Conclusions
Du «flash totalitaire»
français au stroboscope US, la tentation totalitaire est donc bel et
bien une réalité que l’on retrouve d’ailleurs dans nombre d’autres pays
du Bloc atlantiste (Royaume-Uni, Canada etc…).
Nous avons souvent dit que le Système néolibéral atlantiste, de par
l’hyperpuissance qui est la sienne aujourd’hui, ne pouvait être
concurrencé ni vaincu par aucun autre système rival. Et qu’en toute
logique, son effondrement ne pouvait survenir que de l’intérieur.
C’est donc peut-être, sans doute, cet effondrement intérieur-là
– qui ferait voler en éclat plus
sûrement que n’importe quelle pression extérieure toute la belle
mécanique néolibérale du Système et la domination atlantiste du monde –,
dont les élites du Système semblent vouloir se prémunir désormais, même
au prix d’une dérive totalitaire.
Mis en ligne par entrefilets.com le 22 mai 2015
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