Une suite à la « bataille contre le Système »
03/11/2011 Une étude suisse permet de mieux comprendre la mécanique du Système
et d’identifier les prédateurs qui prétendent le contrôler. Cette étude a été
mise en perspective par l’écrivain
Jean-Paul Baquiast dans un texte très éclairant qui démontre notamment
que l’attitude très critiquée des Indignés se refusant à proposer des solutions
toutes faites en remplacement du Système dont il réclame l’abolition, est
pourtant parfaitement cohérente. Etrangement, il apporte une forme de caution
scientifique à un mouvement largement gouverné par l’intuition. L’ensemble de ce
texte, dont nous avons surligné les passages les plus importants, offre une
suite particulièrement utile à notre essai «De
la bataille contre le Système».
Extrait :
« Certaines études s'appuyant sur
les sciences de la complexité donnent désormais des images intéressantes [du
Système]. On peut citer à cet égard celle conduite par une équipe de l'Institut
fédéral de technologie de Zurich conduite par James Glattfelder, docteur en
sciences de complexité et des réseaux (lire NewScientist,
22 oct. 2011, p. 8)
Ce travail qui en cours de publication sur le site PloS One, représente les
relations de propriétés s'établissant entre les principales corporations
mondiales transnationales (TNC). Il utilise les mathématiques utilisées pour la
modélisation des systèmes naturels et les données recueillies par la base Orbis
2007 qui recense des millions de société dans le monde. L'équipe en a tiré un échantillon de 43.000 TNC sélectionnées à partir
de leurs résultats et leurs liens financiers. A partir de cela, les chercheurs
ont mis en évidence un cœur de 1318 sociétés reliées par des participations
croisées. Bien que ne représentant que 20% des chiffres d'affaires mondiaux,
elles possèdent la majorité des entreprises industrielles, celles de l'économie
réelle. A l'intérieur de ce groupe, ils ont fait apparaître un super-cœur de 147
entreprises plus étroitement reliées les unes aux autres que les autres. Elles
contrôlent 40% du réseau. Parmi elles, les plus importantes sont des
institutions financières, dont les banques Barclays, JPMorgan Chase & Co et le
The Goldman Sachs Group.
Pour la première fois, il est ainsi possible de visualiser un élément
essentiel du Système qui contrôle le monde. D'autres éléments manquent, par
exemple les liens incestueux qui relient ces organismes avec les gouvernements,
partis politiques, églises avec lesquels ils échangent des relations de pouvoir.
On devra aussi inscrire les liens, également incestueux, qui lient les TNC, les
gouvernements et les grands médias. Ces liens seront plus difficiles à faire
apparaître, mais avec un peu de persévérance, il serait possible d'obtenir
quelques résultats significatifs. Ainsi commencerait à se dessiner concrètement le Système à trois pôles
dénoncé comme le réseau des oligarchies mondiales: les finances, les pouvoirs et
les médias, journaux et télévision notamment.
Les simulations faites par l'équipe de Zurich sur la réactivité de leur modèle à
des perturbations extérieures montrent qu'il se comporte en super-organisme
ayant son “intelligence” propre. Il n'est
pas, sauf exception, contrôlé par la volonté de quelques dirigeants particuliers
qui se seraient organisés pour se partager la maîtrise du monde. Dans une
certaine mesure, cette globalité le rend encore plus dangereux. Le
superorganisme se montre incapable de prévoir les crises que suscite son manque
de stabilité. Quand ces crises surviennent, il est généralement aussi incapable
d'y porter remède. Il s'agit ainsi, pour reprendre le mot de Hobbes, d'un
nouveau Léviathan contre les dérives duquel, apparemment, personne ne peut rien.
(…)Plus généralement, l'expérience montre qu'il n'existe aucun pouvoir au monde capable de dénouer les liens
reliant les entités représentées par le modèle, si ces liens s'avéraient
dangereux pour l'économie ou pour la démocratie. Ils sont trop nombreux et trop
puissants.
Dans un premier temps, on peut en conclure que les Indignés de Wall Street
et d'ailleurs devraient se trouver confortés dans leur démarche politique,
visant à refuser d'analyser le Système en détail, visant à refuser de s'opposer
à lui de façon spécifique à tel pays, tel secteur économique, telle
circonstance. A la vue de l'opacité du
modèle, traduisant l'opacité des pouvoirs dominants le monde, ils seront
confortés dans leur intuition que trop faibles, ils ne peuvent rien faire pour
infléchir la marche du Système, sauf à choisir la solution du tout ou rien. Ils
ne peuvent que refuser globalement le Système, en se bornant à tenter de bloquer
ses mille têtes, là où elles se montrent.
Certes, du fait de l'imprévisibilité inhérente au Système, nul ne peut dire ce
qui en résulterait. Sans doute dans un premier temps des répressions accrues,
comme ce jour 29 octobre où nous écrivons, à Denver (USA), mais peut-être aussi
autre chose. Rien n'interdit de faire l'hypothèse qu'alors le Système
s'effondrerait de l'intérieur puis s’auto-réorganiserait sur des bases
différentes.
Ce serait alors pour les Indignés l'occasion d'intervenir concrètement afin
d'influencer cette réorganisation d'une façon favorable aux forces créatrices
encore en sommeil qu'ils incarnent. »
De l’attitude «scientifique» des Indignés
Un autre passage de ce texte incite à la réflexion, en ce qu’il démontre que
l’attitude très critiquée des Indignés se refusant à proposer des solutions
toutes faites en remplacement du Système dont il demande l’abolition, est
pourtant parfaitement cohérente.
Extrait :
«Les défenseurs du Système objecteront que le même Système contre lequel
manifestent ces Indignés leur permet de vivre et survivre, ne fut-ce que
frugalement. Aucun ne s'en irait mener dans la nature (ou dans ce qu'il en
reste) une existence de chasseur cueilleur. Et que mettre à la place du Système?
Les Indignés, dans l'ensemble, se refusent à répondre à ces questions. Ce qui
les fait traiter d'irresponsables.
Pourtant, en termes de sciences des systèmes, leur attitude est parfaitement
scientifique.
Un système complexe évolue de façon dite chaotique, c'est-à-dire imprévisible et
par définition, non gouvernable. Il est loisible de postuler que si pour une
raison ou une autre, il s'enferre dans une voie sans issue, il se transformera
et pourra donner naissance à un autre système. Il existe un certain nombre de
probabilités pour que ce nouveau système, s'il réussit à s'imposer, soit tout à
fait différent.
(…) il serait illusoire de penser que
les humains enfermés dans des systèmes anthropotechniques complexes dont ils
n'ont qu'une vague représentation puissent se représenter les évolutions, bonnes
ou mauvaises, qui pourraient résulter d'un blocage total ou partiel du Système
des systèmes les englobant.
(…) Il est donc logique que, pour les
humains d'aujourd'hui, la première chose à faire pour s'opposer au Système dont
ils perçoivent le poids oppressif soit de le bloquer, dans les faits ou même
symboliquement. Ils peuvent espérer, d'une façon apparemment naïve mais
finalement assez fondée scientifiquement, qu'à la suite de ce blocage les
composantes du Système s’auto-réorganiseront, leur offrant des niches vitales
plus riches de perspectives. » (>>texte
intégral ici)
La grille de lecture de Jean-Paul Baquiast est décidément très intéressante
puisqu’elle apporte en quelque sorte une caution scientifique à un mouvement de
femmes et d’hommes essentiellement portés par leur intuition.
Poussé dans ses derniers retranchements par la pression ou la révolte
généralisée des Indignés, le Système n’aura au final d’autres choix que de
révéler
sa vraie nature, qui est
d’essence totalitaire. Mais ce sera sa dernière posture.
Dans
un de nos précédents commentaires nous avions conclu en disant :
«Le problème des commentateurs de la
presse-Pravda est donc celui du Système : ils n’ont pas de repères ni pour
commenter ni pour contre-attaquer des mouvements sans hiérarchie, sans idéologie
qui n’existent que pour ce qu’ils sont : c'est-à-dire un simple mais immense et
fabuleux cri de rejet anti-Système. Un cri qui dit en substance à tous les
prédateurs de la finance qui spéculent sur la vie; à tous les Conseil
d’Administration des multinationales mortifères qui ravagent la planète ; à tous
les politiciens vendus et achetés qui tuent tout espoir, bref, aux serviteurs
zélés du capitalisme destructeur : «On n’en a rien à foutre de savoir pas quoi
on va remplacer
votre machine. L’urgence pour notre humanité, c’est de nous débarrasser
de vous, de vous
empêcher de nuire davantage».
Dont acte.
(PS : prochaine échéance intéressante :
le 11/11/11)
>>Tous les épisodes "De la bataille contre le Système".