La stratégie d'Israël dans les territoires occupés : le pari de la "guerre ingagnable".

Saïda Bédar (nombreuses analyses sur le site du CIRPES)

Article paru dans Arabies, n° 177, Octobre 2001

ISRAËL-ETATS-UNIS,
Une affaire de famille

(publié dans 24 heures du 12/04/2002)

Depuis 1948, les Etats-Unis et Israël ont lentement tissé un réseau de liens de plus en plus serrés. Le couple se crée en 1948, avec la naissance à l'ONU de l'Etat d'Israël, soutenue par les Etats-Unis. " C'était essentiellement un geste moral: les blessures de l'Holocauste et le respect pour la communauté juive américaine ", explique Leon Hadar, spécialiste du Proche-Orient au Cato Institute, un think tank washingtonnien. En 1956, le vent se lève. Lors de la cirse de Suez, le président Eisenhower fait pression sur Israël et ses alliés français et britanniques pour se retirer du Sinaï. Succès.

Cependant, le retrait progressif des Européens du Moyen Orient laisse un vide, qui, en pleine guerre froide, ne peut pas aux yeux des Etats-Unis être comblé par l'Union soviétique. A l'obligation morale, s'ajoute l'intérêt géostratégique: l'URSS se rapprochant des pays arabes, les Etats-Unis placent leurs pions en Israël. La guerre du Kippour en 1973, donne un nouveau coup d'accélérateur à l'aide américaine: menacé dans son existence, Israël ne doit pas tomber, estiment les Etats-Unis. L'alliance est scellée.

40 milliards de dons
L'afflux de dollars va croissant. Jusqu'en 1965, les montants restent modestes: 63 millions de dollars par an, dont 95% de soutien économique. En 1971, l'aide américaine atteint 2 milliards de dollars dont les deux tiers en assistance militaire. Aujourd'hui, elle avoisine les 3 milliard de dollars, dont 2 milliards pour les besoins militaires. D'ici 2008, l'aide économique devrait tomber à zéro tandis que l'aide militaire grimpera autour des 2,4 milliards. Parallèlement, les Etats-Unis ont transformé 40 milliards de dollars de dettes en dons.

L'ombre des Etats-Unis est aussi la meilleure arme de dissuasion israélienne: " Sans les Etats-Unis, Israël n'est rien ", assure Leon Hadar. Inversement, la guerre contre le terrorisme renforce l'importance d'Israël pour les Etats-Unis. Et à Washington, les intérêts d'Israël sont défendus par le lobby pro-Israélien.

Puissant lobby
Le Comité israélo-américain pour les affaires publiques (AIPAC) est ainsi le lobby non américain le plus puissant des Etats-Unis. Aux idées conservatrices, il a dès le premier jour affirmer son soutien à Ariel Sharon et plaide pour une pression accrue sur Arafat tout en laissant le Premier ministre tranquille. Politique qui a été suivie par le gouvernement américain jusqu'à la semaine dernière. La communauté juive américaine, qui a voté à 80% démocrate en 2000, se dit d'ailleurs " agréablement surprise " par la politique de Bush en général.

Washington / Anne-Muriel Brouet

Israël,
plus gros bénéficiaire de l'aide américaine

Selon une dépêche 'AFP du 21 avril 2002, Israël a été depuis 1976 le principal bénéficiaire de l'aide étrangère annuelle des Etats-Unis et a été le pays ayant reçu l'assistance cumulée la plus importante de Washington depuis la Deuxième guerre mondiale, selon un rapport publié dimanche par le service de recherches du Congrès.

Pour l'année budgétaire en cours, l'administration du président George W. Bush a demandé 2,04 milliards de dollars en aide militaire, 720 millions en assistance économique et 60 millions pour l'installation des immigrants, précise ce rapport.

Depuis un accord de 1983, Les Etats-Unis et Israël collaborent dans différents secteurs militaires, avec des manoeuvres communes ou la mise au point d'armes.

Washington a ainsi fourni à Israël 625 millions de dollars pour développer et déployer le missile anti-missile Arrow, 1,3 milliard pour la mise au point de l'avion Lavi, 200 millions pour construire le char d'assaut Merkava et 130 millions de dollars pour réaliser un système laser anti-missile, note l'étude du Congrès.

Les Etats-Unis est également le premier partenaire économique d'Israël. En l'an 2000, les échanges entre les deux pays ont totalisé quelque 20,8 milliards de dollars, selon les statistiques américaines.

Les principales exportations américaines vers Israël consistent en matériel électronique, pièces d'avions et autres équipements militaires, blé et automobiles. De son côté, l'Etat hébreu exporte notamment vers les Etats-Unis des diamants, des bijoux, des circuits intégrés et des équipements de télécommunications.

Plus que jamais la situation est confuse dans le conflit israélo-palestinien. Entre les campagnes d'information des deux parties visant à acquérir la légitimité aux yeux de la communauté internationale (Israël se contenterait du Congrès américain), et la naïve confiance accordée au processus diplomatique et ses promesses de paix proche, la plupart des observateurs ont négligé la lecture stratégique du conflit. Or, seule une approche stratégique peut nous aider à comprendre les "projets d'avenir" d'Israël pour les territoires occupés.

Depuis l'occupation des territoires en 1967 Israël tente d'équilibrer une stratégie de la négociation sur la base de la restitution des territoires contre des accords de paix (land for peace) et de l'acquisition de la profondeur stratégique. Le processus d'Oslo s'inscrit dans cette logique. C'est (c'était?) un cycle de négociations visant à aménager une position palestinienne modérée concernant le droit au retour et Jérusalem, mais également un cycle de repositionnement stratégique. La géographie urbaine des territoires a été reconfigurée pour faciliter l'intervention des forces israéliennes et assurer un contrôle informationnel permanent, de nouveaux systèmes d'armes, une nouvelle doctrine ont été adaptées à la "guérilla urbaine" que les Israéliens envisagent protractée et plus létale dans le long terme après la création de l'Etat palestinien. Leur stratégie préemptive vise à façonner leur périphérie arabe de demain, par la contrainte diplomatique, l'appauvrissement et la dépendance économique mais également le contrôle par le conflit de basse intensité protracté.

Israël s'adapte à la guerre de basse intensité protractée
Alors que certains observateurs israéliens n'hésitent pas à affirmer que Rabin a engagé le processus d'Oslo et les négociations avec la Syrie sur la base du constat de faiblesse de l'état de préparation (readiness) des forces israéliennes1 , il est clair que le retrait précipité de Beyrouth en 1982 et l'Intifada en 1987 ont constitué des signaux d'alarmes quant à la nécessité de la révision stratégique. L'expérience du Liban a démontré les limites de l'effet de choc de la puissance de feu et de la manoeuvrabilité en milieu urbain, l'incapacité à obtenir des effets décisifs de façon discriminante (ciblée sur les combattants et avec de faibles dommages collatéraux). Le Liban montre que face à une puissance technologique, un acteur, étatique ou non, peut résister et inciter l'adversaire au retrait en employant des moyens "asymétriques" de contournement de la puissance et de déni d'accès. La dissémination des technologies rend accessibles les moyens asymétriques, tels les missiles balistiques et de croisière (potentiellement à charges nucléaires, biologiques, ou chimiques), les attaques informationnelles, la dissimulation, le camouflage et le leurre. Ces moyens asymétriques remettent en cause la sanctuarisation du territoire national et la protection des forces de l'arrière. L'Intifada quant à elle fait surgir le spectre de la guérilla protractée, la "guerre ingagnable", celle qui oppose une armée étatique à un peuple entièrement mobilisé pour la résistance et qui recourt à ses avantages comparatifs "asymétriques" : le nombre et l'extension sociospatiale (les maquis, la guérilla urbaine, etc.), la portée globale transnationale idéologique, ethnique/culturelle ou religieuse.

Israël semble accepter le pari de la guerre ingagnable auquel toutes les autres puissances coloniales ou les Etats-Unis au Vietnam, ont fini par renoncer. L'Etat hébreu semble se sentir en état de relever le défi grâce à trois catégories d'atouts stratégiques :
1) Militairement la nouvelle doctrine et de nouveaux systèmes d'armes permettent désormais de compenser la perte de profondeur stratégique par la distance par l'acquisition du "temps réel", le métacontrôle informationnel, et le recours à des méthodes asymétriques "délinquantes" ;
2) Politiquement et idéologiquement Israël ne considère pas son combat comme un conflit colonial mais un conflit entre le centre et sa périphérie à maintenir sous contrôle, le futur Etat Palestinien demeurera un front israélien ;
3) Sur le plan international, Israël a acquis une légitimité par défaut, que ce soit par la faiblesse des réactions du système international, ou par l'acquisition du statut de sous-système stratégique américain.

La révision stratégique israélienne pour contrer l'asymétrie palestinienne.
La réforme stratégique israélienne mise en place dans les années 1990 vise à adapter les structures de forces et la doctrine aux nouveaux types de combats induits par la perte de la sanctuarisation (risques d'attaques par missiles et informationnelles), et par la perspective d'un conflit de basse intensité protracté avec le futur Etat palestinien. La nouvelle doctrine stratégique, la Doctrine de défense nationale, ou "Grande stratégie", envisage le combat aux frontières (la Syrie, le Liban), au-delà des frontières (Iran, Irak) et à l'intérieur des frontières ou ce qui va devenir la périphérie palestinienne. Elle est fondée sur : l'action préventive pour empêcher les adversaires d'acquérir les armes de destruction massive ; la dissuasion ; la défense antimissile ; l'alerte avancée ; et la coercition. La nouvelle doctrine est accompagnée par une politique de recherche et développement (R&D) et d'acquisition ambitieuse. Alors que le budget de R&D a doublé depuis le milieu des années 1990, l'effort de l'acquisition porte essentiellement sur les capacités de renseignement, le commandement et contrôle, l'espace, l'antimissile et les véhicules aériens sans pilotes. Et qu'on ne s'y trompe pas la lutte contre le soulèvement palestinien est loin d'être un combat "rustique". Les moyens les plus sophistiqués sont utilisés, les modes opérationnels ont été expérimentés (dans le Sud Liban), un plan stratégique a été mis en place.

Il est clair qu'Israël vise à démontrer sa capacité à mener une guerre de basse intensité protracté pour décourager ses adversaires mais également pour vendre son savoir faire et ses systèmes d'armes adaptés à la menace asymétrique. Le directeur général du Ministère de la défense, Amos Yaron, n'hésite pas à admettre que les combats dans les territoires occupés ou au Sud Liban constituent des opportunités d'expérimentation des systèmes d'armes à exporter : "Malheureusement, nous avons eu tellement d'occasions de démontrer les capacités de nos produits militaires dans des combats. Nous aurions aimé que ce ne soit pas le cas, mais dans la mesure où c'est un fait de la vie dans cette partie du monde, au moins nous pouvons faire profiter nos clients de notre expérience."2
Avec 2,5 milliards de $ de commandes l'an dernier, Israël est le cinquième exportateur au monde. Ainsi Israël est bien placé pour conquérir le marché d'équipement (systèmes sophistiqués embarqués et de simulation et entraînement) des hélicoptères Apaches AH-64A, et des avions de combat F16. Il en est de même pour les marchés des drones (des véhicules aériens sans pilotes pour la surveillance et la reconnaissance), des radars, des munitions à guidage précis largables à distance de sécurité (
Modular Standoff Vehicle) et à forte pénétration (Runway Attack Munition, qui peut être larguée à altitude moyenne et pénétrer 2 mètres de béton).

Le plan stratégique appliqué dans les territoires avait été mis en place par Barak au début de l'Intifada Al Aqsa. Inspirées des leçons apprises dans le Sud Liban contre le Hezbollah, ce que Ephraïm Sneh, vice-ministre de la défense sous Barak, avait nommé "des opérations de contre-guérilla sophistiquées", les mesures adoptent désormais le schéma de la préemption et non plus de la réaction3. Sharon a poursuivi le plan selon trois phases. La phase 1 c'est la préemption par le bombardement des immeubles de la sécurité de l'Autorité Palestinienne et, après constat de la "non coopération" de l'Autorité, par les assassinats de dirigeants palestiniens et la pression économique. La phase 2 envisage l'encerclement des villages et la fouille des habitations pour la recherche d'armes, ainsi qu'un blocus économique qui ne laisserait passer que la nourriture et les médicaments. La phase 3 consisterait à déclarer l'Autorité Palestinienne "ennemie" et en conséquence à considérer comme cibles tous les immeubles et tous les officiels de l'Autorité.

Ce plan stratégique institutionnalise l'option du recours à des moyens asymétriques "criminels" qu'habituellement un Etat n'emploie pas ouvertement même pour lutter contre une insurrection. L'élimination par assassinat des chefs de réseaux a été employée en Algérie par la France, au Vietnam par les Etats-Unis (l'opération "Phoenix" de la CIA aurait fait 60 000 victimes) mais sans résultat quant à la résolution du conflit. Or, les Israéliens ne prétendent pas à la résolution du conflit ou à la victoire décisive. Ils utilisent le conflit comme méthode de contrôle social protracté. Ils contiennent le conflit en empêchant une montée en puissance de la résistance palestinienne par l'élimination des chefs, la surveillance permanente et la réduction des mouvements par la fermeture et la division des territoires, les tranchés, les routes de contournement, les barrages et le rythme imprévisible des déploiements et redéploiements. La destruction de biens fonciers de Palestiniens non-combattants (destruction d'habitations, de récoltes et de vergers) et les implantations juives dans les territoires occupés sont également des moyens asymétriques "hors droit" (en violation avec les accords). L'absence de profondeur stratégique en distance est compensée par une profondeur temporelle (surveillance/ciblage en temps réel et préemption) et la production d'un espace de l'endiguement. Dans le même temps, par le processus de paix les Israéliens sont parvenus à détruire la profondeur stratégique de leur adversaire en concentrant les forces d'élites du Fatah et la majorité des dirigeants palestiniens dans des territoires qu'ils ont spatialisés pour les contrôler. A terme Israël envisage une phase de séparation physique flexible par des barrières équipées de systèmes de surveillance sophistiqués et le recours à des unités paramilitaires de patrouille. D'ores et déjà les territoires sont quadrillés par des réseaux d'antennes qui permettent le filtrage des communications cellulaires par le Shin Bet. De même, des drones survolent régulièrement les territoires pour surveiller en temps réel les mouvements des dirigeants palestiniens et éventuellement relayer les informations aux tireurs d'élite charger de les éliminer. Le Shin Bet a une liste de 100 dirigeants palestiniens, et des membres des unités commandos, Shaldag ou Shayetet 13, sont postés en permanence. Mais les Israéliens aiment également recourir aux collaborateurs palestiniens, parce que les informations qu'ils donnent sont parfois importantes, mais surtout par ce qu'ils créent un climat de suspicion et contribuent à démoraliser les combattants palestiniens.

Une périphérie palestinienne sous contrôle
En fait les Israéliens ne sont pas dans une logique de guerre coloniale ils sont dans une logique du contrôle social : le contrôle de leurs périphéries arabes (les Arabes Israéliens et les Palestiniens des territoires) par la dépendance économique (l'assistanat et la cooptation en Israël, le blocus et à terme les maquiladores dans les territoires) et la répression policière/militaire. Alors qu'Israël vient de recevoir les compliments du FMI pour la santé de son économie (5,9% de croissance, faible inflation, scheckel fort), l'économie des territoires est au bord du gouffre, elle aurait perdu plus de 1,5 milliards de dollars depuis le début de l'Intifada Al Aqsa, et le taux de chômage a atteint 60%. Chris Patten, commissaire européen, en demandant aux Israéliens de débloquer les revenus fiscaux qu'ils retiennent, a fait remarquer que la politique israélienne ne pouvait que pousser à la radicalisation de la résistance palestinienne et la protraction du conflit :

"Nous comprenons qu'Israël ait des problèmes de sécurité. Mais qu'est-ce la destruction de l'économie palestinienne et l'augmentation de la pauvreté peuvent bien avoir affaire avec la sécurité ? ... Il ne faut pas être un génie pour comprendre que si les gens perdent leur emploi, leurs moyens de subsistance et ne voient aucun espoir, cela les rendra plus radicaux."4

Habituellement le but d'un combat contre-insurrectionnel c'est la destruction politique (pas nécessairement physique) de la guérilla et la création des conditions de l'action politique décisive. Dans le cas d'un conflit intercommunautaire et territorial l'intervention est vouée au maintien de la paix/maîtrise de la violence protractés. Les Israéliens s'inscrivent dans le temps long de la construction de leur nation et sont prêts à faire face à la guerre protractée. Le Premier Ministre Ariel Sharon est clair sur le sujet :

" Ma conclusion est que le temps ne travaille pas contre nous et qu'il importe, pour cela, d'imaginer des solutions qui s'étaleront sur une longue période.(...) je proposerais une série de grands objectifs nationaux : faire venir en douze ans un million de Juifs de plus, de telle sorte que vers 2020 la majorité du peuple juif vive en Israël ; développer le Néguev, qui est le dernier territoire où établir des colonies juives ; et rénover l'éducation selon les principes sionistes."5

Une légitimité par défaut ?
La guerre qu'Israël mène dans les territoires est unanimement condamnée sur la scène internationale et les appels à la reprise des négociations se font pressants. Et pourtant aucune action concrète n'est prise, telle l'envoi d'une force d'interposition ou encore les sanctions économiques. L'inaction de la communauté internationale est un gain stratégique pour Israël, qui sans doute espère bénéficier de la même bienveillance que les Russes pour la Tchétchénie ou les Chinois pour le Tibet. Plus cyniquement encore, Israël se sent investit du rôle de précurseur dans la lutte globale contre les menaces asymétriques que sont le "terrorisme international", la "prolifération des armes de destruction massive", ou encore l'insurrection généralisée des laissez pour-compte de la globalisation. La vision stratégique israélienne se conforme à la vision globalisante américaine :

"La systémisation globale de la pratique de la violence a engendré des générations entières pour qui le conflit protracté est une situation normale. Que ce soit au Liban, à Gaza, en Afghanistan, au Cambodge, en Colombie, au Libéria, ou dans les centre urbains des Etats-Unis, la jeunesse voit la violence non pas comme une aberration mais comme une partie inhérente à leur vie. Il ne faut pas grand chose pour déclencher l'insurrection dans un tel contexte."6

De toute évidence l'intégration israélienne au système stratégique américain va croître : pour des raisons géopolitiques, Israël demeure la puissance dissuasive de la région, et pour des raisons militaires, la puissance techno-militaire israélienne dépend encore du soutien américain. Depuis le milieu des années 1980 les liens stratégiques entre Israël et les Etats-Unis se sont renforcés, se traduisant par : la signature de mémorandums, la création d'un groupe consultatif se rencontrant tous les six mois, l'utilisation des ports israéliens par la 6ème flotte, les entraînements en commun, le prépositionnement de matériel US, l'échange de renseignement, la coopération technologique, notamment dans le domaine de la défense antimissile. L'aide financière américaine, 3 milliards de $ annuel (pour l'année fiscale 2001 : 840 millions de $ pour l'aide économique, 1,98 milliards pour l'aide militaire, 60 millions pour l'aide aux immigrés), fait d'Israël le plus grand récipiendaire cumulatif de l'aide américaine depuis la deuxième guerre mondiale. L'expérience militaire opérationnelle commune entre Américains et Israélien est loin d'être anecdotique. Si aujourd'hui les Israéliens peuvent mener des attaques aussi précises que la décapitation de deux chefs du Hamas avec un missile Hellfire tiré d'un hélicoptère Apache à travers la fenêtre d'un immeuble, c'est parce qu'ils bénéficient de, et poursuivent, l'expérience doctrinale, opérationnelle et technologique américaine. Il y a douze ans, au Panama, le commandant en chef de l'opération Just Cause, le général Stiner, s'émerveillait : "On pouvait tirer le missile Hellfire à travers une fenêtre à six kilomètres de distance et en pleine nuit."7

Le département d'Etat peut bien condamner l'usage excessif de la force, le soutien américain à Israël reste inconditionnel, tant que le consensus sur la nécessité de la création d'un Etat palestinien à Gaza et sur une "vaste majorité" de la Cisjordanie demeure. On peut craindre que l'américanisation croissante de la stratégie israélienne ne va pas apporter la paix ni pour les Palestiniens promis au contrôle social violent permanent, ni pour Israël amené à devenir un Etat-garnison, vitrine des savoirs-faire techno-militaires israélo-américains.

Saïda Bédar

1 - cf le point de vue de l'écrivain israélien Hillel Halkin, dans la revue Commentary, d'ocobre 1998 "The Sword and the Olive: A Critical History of the Israeli Defense Force".
2 - Barabara Opall-Rome, "Israeli Defense Industry Has a Perennial Proving Ground for Products", Defense News, June 11-17 2001.
3 - "Israel's Unwinnable War", The Economist, November 4th 2000.
4 - Aluf Benn, "Impoverishing People doesn't Create Security", Ha'aretz, 14 Mars 2001.
5 - entrevue accordée à Ha'aretz le 13 Avril 2001, retranscrite dans L'Intelligent N° 2102-2103, 24 avril/7 mai 2001.
6 - Steven Metz, Counterinsurgency: Strategy and the Phoenix of American Capability, Strategic Studies Institute, US Army War College, February 28, 1995, p. 16.
7 - Operation Just Cause - Panama, Joint History Office, Office of the Chairman of the Joint Chiefs of Staff, 1995, Washington DC, p. 40.