2010, année du désordre et de l’espoir
31/12/2010 Nous voici donc à l’heure des
bilans. Et nous souscrivons d’autant plus volontiers à la tradition que le
millésime 2010 n’a pas manqué de piquant. Surtout à nous offrir le spectacle
inédit de la décomposition accélérée d’un Nouvel ordre mondial sensé permettre à
l’humanité entière d’accéder enfin au nirvana néo-libéral, à l’orgasme cosmique
de la civilisation marchande, à l’American
dream donc.
Sauf qu’en 2010, Disneyland a pris du plomb dans l’aile.
S’il nous fallait d’entrée de jeu résumer l’année, nous dirions donc qu’en à
peine douze mois, le masque vertueux du Système américaniste s’est diablement
fissuré, dénudant une cour de roitelets qui, même dressés sur leurs ergots à
s’en faire péter les tendons, sont désormais bien incapables d’atteindre le
gouvernail d’un hyper-Titanic dont la coque se déchire doucement sur l’arête
glacée de la réalité.
En 2010, nous
avons ainsi observé :
-
La confirmation du reflux massif de la
puissance américaine, de la toxicité de son modèle et de son leadership.
-
La confirmation de l’échec total du
Système dans sa prétention à la gouvernance mondiale (mesurable
à l’aune des fiascos auxquels ont abouti absolument tous les Sommets sur le
climat par exemple).
-
La confirmation aussi de la nature
mafieuse du Système avec le plus fabuleux hold-up de tous les temps au profit
des spéculateurs et des « banksters » du capitalisme financier.
-
La confirmation encore de la formidable
montée en puissance du désordre avec, en point d’orgue, la première
cyber-insurrection de l’Histoire.
-
La confirmation enfin que, sous sa façade
démocratico-droits-de-l’hommiste, le Système américaniste révèle une nature
totalitaire lorsqu’il se sent menacé dans ses fondements ; comme en témoigne la
contre-attaque stalinienne lancée sur
Julian Assange (instrumentalisation
du pouvoir judiciaire, tentative de lynchage médiatique, étouffement financier,
appels au meurtre etc…), et plus généralement par la multiplication des
manœuvres liberticides s’agissant
d’internet qui a brisé sa capacité de contrôle de l’information.
La crédibilité perdue
Malgré un service de
presse-Pravda
tournant à plein régime, le Système américaniste, qui encage le monde depuis la
fin de la Seconde guerre mondiale, commence donc à être perçu pour ce qu’il est.
Et l’année 2010 aura sans conteste été celle où le mythe, le masque d’un
libéralisme pacificateur et vertueux, se sera finalement disloqué sous la
poussée du réel.
Aujourd’hui, l’image qui domine est celle des justifications de guerre
foireuses ; des « affaires » en eaux troubles ; des discours creux, du
bling-bling ; du vaguement responsable mais jamais coupable ; celle du spectacle
permanent de la soumission zélée de nos élites à la dictature des marchés ;
celle de leur servilité à la toute puissance mortifère de multinationales
déchaînées, bref, le spectacle de politiques désabusés devenus les porteurs
d’eau d’un hyper-capitalisme dévastateur.
Résultat : désormais débarrassé de son vernis, de sa
narrative, ce que l’on appelle
communément le Pouvoir n’est donc plus aujourd’hui le dépositaire de la vérité,
celui vers lequel le citoyen se tourne en dernier ressort, lui accordant sa
confiance pour présider à sa destinée.
Il n’est plus l’Autorité dont la Parole fait foi.
Au contraire, la parole du pouvoir est suspecte, suscite le doute et la
méfiance, le soupçon.
La confiance est irrémédiablement perdue.
L’épuisement
par déchaînement de la puissance
Il faut dire que 2010 ponctue deux décennies où le Système, au faîte de sa
puissance, s’est littéralement déchaîné ; deux décennies de massacres de masse
perpétrés au nom des droits de l’homme mais pour le compte d’industriels et de
spéculateurs; deux décennies d’aberrations marchandes où la soif de profit des
actionnaires-prédateurs aura tout justifié, y compris une spéculation affamant
des peuples entiers ; deux décennies de ghettoïsation, de dislocation du tissu
social, de tentative d’aliénation des individus aux tristes plaisirs de la
possession et de l’accumulation des biens.
Ivre de son hyper-puissance idéo-technologique, le Système ne se conçoit plus
désormais de limites, mais se dissout en même temps littéralement dans
l’exercice démesuré de cette puissance. Irak, Afghanistan, guerre contre la
terreur, Palestine, Iran, Wikileaks, technologisme : tous les fronts sur
lesquels le Système déchaîne sa puissance usent le Système.
Or ce «déchaînement de la matière»
semble avoir aussi atteint ses limites comptables.
Techniquement prisonnier autant que pourvoyeur du Système américaniste,
l’Occident en est désormais réduit à financer son train de vie par le pillage
des ressources, la rapine
et
l’accumulation des dettes,
pratiquant ainsi une sorte de respiration artificielle sur le cadavre de son
modèle idéologie mercantile.
Manœuvre désespérée s’il en est. Car désormais, l’American dream sombre tranquillement sous les coups de boutoir de la
réalité qu’il a engendrée et qu’il ne parvient plus à dissimuler. Une réalité
faite de misère, de précarisation, de paupérisation, d’injustice sociale, de
meurtre de l’environnement, de dessèchement des cœurs et des esprits, tout cela
formant une gigantesque, une formidable impasse où viennent se fracasser les
espérances.
Fronde prometteuse
Mais heureusement, 2010 a aussi ponctué deux décennies qui ont vu naître un
mouvement d’émancipation de l’Amérique latine ; deux décennies où le rejet
africain de la domination occidentalo-américaniste s’est sans cesse raffermi ;
deux décennies qui ont aussi vu l’émergence d’une prise de conscience globale du
nihilisme de la religion néolibérale avec, comme corollaire, la naissance de
systèmes de pensée alternatifs prêts à prendre le relais.
Et ces douze derniers mois ont vu la montée en puissance de désordres
centrifuges qui ont atteint des formes et des seuils d’intensité inédits tant au
niveau américain, avec le Tea Party et les courants néo-sécessionnistes par
exemple, qu’au niveau global du Système avec la mise à mort de sa narrative
grâce à
Wikileaks
notamment.
L’impression générale est donc celle du déclin accéléré d’un Système qui pourrit
par la tête comme il se doit.
Les Etats-Unis,
toujours une longueur d’avance
C’est qu’en tant que matrice et CEO du Système, les Etats-Unis ont toujours,
comme chacun le sait, une fameuse longueur d’avance. Ce qui devrait à ce stade
rassurer quelque peu tous les petits Nicolas du monde qui restent
inépuisablement fascinés par le prestige de l’uniforme du capitaine, quand bien
même celui-ci conduit-il le vaisseau mère droit contre l’iceberg, symbole en
quelque sorte matérialisé de leur incommensurable bêtise commune.
Ainsi en va-t-il d’ailleurs, et vous me pardonnerez l’élargir la parenthèse,
pour les plumitifs du Système qui ont voulu voir dans les années Bush une simple
dérive, là où il n’y avait que continuité, logique et cohérence dans la course
folle d’un Système devenu quasi autonome sous l’entraînement de sa propre
puissance. Ce qui explique aussi pourquoi ces mêmes plumitifs ont célébré
l’arrivée de l’inconsistant Obama comme celle le Messie qui allait remettre la
machine sur le droit chemin et lui assurer, à nouveau, mille ans croissance et
de dividendes.
On connaît la suite. Obama, aussi brillant qu’impuissant, n’a fait qu’ajouter au
désordre et reprendre la barre du vaisseau sans modifier d’un degré la
trajectoire, le glamour en plus, certes.
Aussi inconcevable que cela paraisse encore à nos esprits docilisés par 50 ans
de dictature hollywoodienne, tout indique donc aujourd’hui que
l’empire US a entamé son déclin,
et que son effondrement entraînera dès lors celui du Système américaniste dans
son ensemble.
L’espoir
Avec tout le vacarme tyrannique dont est capable son service de
presse-Pravda, le Système malaxe sans relâche les psychologies en hurlant bien
sûr comme ultime argument qu’en dehors de lui, point de salut (There
is no alternative !).
Nous pensons exactement l’inverse.
Nous pensons que ce Système américaniste, c'est-à-dire l’hyper-capitalisme qui
lamine aujourd’hui les sociétés humaines et l’environnement au profit de la
fortune privée, n’est pas réformable. La machine est sur pilote automatique et
seule sa puissance, retournée contre lui-même, peut en venir à bout.
Son effondrement (dans lequel nous n’avons
rien à perdre, hormis le pire) est donc le préalable nécessaire à
l’émergence d’un autre modèle dont nous ne nous risquerons pas ici à définir les
contours, tant la chose nous paraît impossible. Car c’est un changement total de
paradigme qui s’impose, le Système n’étant pas réformable puisque
structurellement bâti sur le triomphe et le déchaînement de la matière, sur
l’obligation d’une croissance perpétuelle pourtant impossible au regard de la
finitude des ressources terrestres.
Ce qui est sûr, c’est que le nouveau modèle à mettre en place devra placer les
notions aujourd’hui obsolètes de partage et de bien commun au cœur de son
architecture, de même que celles, aujourd’hui frappées d’anathème, de
décroissance
ou de gratuité.
En dehors de ce changement radical de paradigme, point de salut il est vrai.
2010 : année du désordre donc, mais aussi de l’espoir.
Heureuses fêtes de fin d’année à vous tous !
PS Ceterum
censeo Carthaginem esse delendam