L’Afghanistan, première guerre du Système

30/10/2009 L’Occident perd peu à peu le contrôle de son destin, de son Histoire. Le Système sur lequel repose son architecture économique devient parallèlement autonome, entraîné qu’il est par son propre poids, gouverné par sa seule dynamique mécanique. C’est que ce Système, bâti dans l’unique obsession de servir la Grande Croissance Eternelle (la GCE, soyons modernes diantre !), ne peut survivre que s’il produit et produit encore, indépendamment de toute autre considération.

Pour le système, produire c’est la vie, l’arrêt de la production, c’est la mort. Produire pour produire, produire tout et n’importe quoi mais produire, est une question de vie ou de mort. Pour peu qu’elle soit dotée de l’unique vertu qui vaille, c'est-à-dire qu’elle soit commercialisable, la plus lamentable idée du plus demeuré des ingénieurs a donc toutes les chances de finir sur une chaîne de production sans que jamais personne ne se soit posé la question de savoir si l’objet ainsi produit avait une quelconque utilité, ni même d’ailleurs s’il pouvait être abêtissant, nuisible ou dangereux. Ces questions sont sans importance. Il faut produire. Machinisme, technologisme, « innovationnisme » sont devenus les pourvoyeurs en combustible du Système, c'est-à-dire en matière à produire.  

Mais cette dynamique productiviste a un impact colossal sur l’ensemble de la société humaine. Elle conditionne les comportements, modifie l’organisation sociale et les façons de vivre, de travailler, de gouverner et même de guerroyer.

Les rôles et les valeurs s’en trouvent dès lors radicalement inversés et, au lieu de servir les hommes, le Système les tient désormais en esclavage. Les politiques ont perdu l’initiative, donc le pouvoir. Ils tentent de donner l’illusion qu’ils maîtrisent quelque chose de cet emballement, mais ne peuvent que réagir aux événements qui dès lors les dépassent, incapables qu’ils sont de contrôler la marche du Système, d’en prévoir les bogues, les aberrations (à l’image de la crise actuelle). Résultat : le Système impose ses règles, produit les situations, produit désormais jusqu’à l’Histoire.

Prenons pour exemple de « production historique » la pseudo-guerre afghane. Voilà une guerre qui n’a aucune signification, aucun sens, aucune justification ni géopolitique ni stratégique ni tactique. Rien. Néant. Le vide sidéral (ne perdons pas de temps avec le couplet démocratico-droit-de-l’hommiste sensé justifier l’intervention puisque sa fonction est précisément de masquer l’ampleur du vide). Voilà une guerre à ce point déconnectée de toute réalité que plus personne ne se soucie même de ce qui, depuis la première escarmouche australopithèque, a toujours été l’objectif de chaque belligérant : la victoire. En fait, cette guerre se suffit à elle-même. Elle existe sans but ni objectif véritables. Perdre ou gagner n’a aucune importance. Cette guerre est, c’est tout.

Le Système l’impose pour nourrir le Système grâce au « chaos constructeur » qu’elle engendre, au combustible qu’elle produit. C’est la seule fonction de cette non-guerre, sa seule raison d’être comme en témoigne l’incapacité des acteurs humains de cette tragédie à en justifier l’existence, à lui trouver un but, un sens, autrement que par l’esquive rhétorique. La soldatesque de l’OTAN, l’une des superbes machines à combustible du Système, y combat sans but, sans raison, sans savoir pourquoi, telle une armée de zombies, témoignant elle aussi par là de sa condition d’esclave du Système.  

A l’intérieur même de cette non-guerre, la stratégie de l’OTAN est elle-même gouvernée par le Système. « Technologisme » oblige, on s’y bat ainsi avec un armement high tech, ultra-sophistiqué mais totalement inadapté au terrain. Un armement non pas élaboré pour répondre à un besoin tactique, mais simplement parce que le Système dispose de la possibilité technique de le produire. Imposé à la troupe, cet armement inadapté conditionne alors des stratégies et des tactiques forcément inadaptées avec, à la clé, le bourbier que l’on sait et des dizaines de milliers de robocops prenant raclée sur raclée par des talibans en sandales et pantalons bouffants, AK-47 et RPG en bandouilières.

Dans le cas afghan, non seulement la guerre échappe au contrôle politique (qui l’a décidée, pourquoi, dans quel but, pourquoi continuer ?), mais la conduite elle-même de cette guerre échappe au contrôle de militaires de plus en plus dépressifs.  

Quid du fiasco qui en découle? Il n’y a pas de fiasco ! Du moins pas pour le Système. Le Système n’a ni besoin de donner du sens à cette guerre ni de rechercher une victoire qui serait, d’ailleurs, contre-productive puisqu’elle impliquerait une cessation des hostilités, donc une cessation de la production de combustible. Le seul objectif du Système est que la guerre soit. Point. 

L’absence de sens (une marque de notre temps), qui est la caractéristique première de cette non-guerre d’Afghanistan, vient donc tout simplement du fait qu’elle n’est pas le prolongement d’une politique, qu’elle n’est de ce fait pas entre les mains des hommes, qu’elle est intrinsèquement « inhumaine ».  

D’où, sans doute, le malaise perceptible qui imprègne toute dans cette affaire dans le camp occidental, et la difficulté manifeste d’y mettre un terme, c'est-à-dire de s’opposer au Système.