fin février 2007

Interview, le 28 février 2007 à Beyrouth, du franco-libanais Nabil Nicolas, député du Courant Patriotique Libre du général Michel Aoun

"Il n'y a pas de gouvernement au Liban"

Nabil Nicolas (à g.), dans un moment de détente, ici avec un autre député du CPL et ami de la première heure du général Michel Aoun, le général Edgar Maalouf.

- Le Gouvernement M. Siniora a l'appui des Occidentaux et le courant aouniste, notamment depuis son entente avec le Hezbollah, est perçu comme l'élément perturbateur, pourquoi?

- Les Libanais ne comprennent plus la politique des grandes puissances. A l'époque où les Américains voulaient que le Liban traitent avec les Syriens* nous nous y sommes opposés en réclamant le départ des troupes étrangères du pays et nous avons été punis. Aujourd'hui, ces mêmes Américains veulent que le Liban s'oppose à la Syrie parce-qu'ils sont en guerre contre elle. Or le général Michel Aoun, s'il ne traite pas avec la Syrie, refuse d'être son ennemi puisque désormais ses troupes ont quitté notre pays. En homme politique pragmatique, il veut simplement établir de bonnes relations avec les pays voisins. Et il est à nouveau puni pour cela. Les Américains veulent nous obliger à avoir la même politique qu'eux pour la région. Or, ce que nous voulons, c'est avoir notre propre politique libanaise. Et la seule chose qui explique le soutien inconditionnel de Washington au Gouvernement de M. Siniora est que ce dernier joue totalement le jeu de Washington dans la surrenchère contre la Syrie. En fait, il n'y a pour l'instant pas de Gouvernement libanais. Il n'y a que des représentants des grandes puissances étrangères qui orientent la politique libanaise en fonction des directives qu'ils reçoivent.

- C'est pour cela que vous réclamez le départ de ce gouvernement?

- Oui bien sûr. Nous ne voulons pas faire tomber le régime, ni l'Etat, ce que l'on veut c'est le changement des personnes qui sont à l'intérieur de l'Etat parce-que ce sont des personnes qui ne représentent pas le peuple libanais. C'est quand même formidable de penser que ces gens étaient là à l'époque de l'occupation syrienne. M. Walid Joumblatt, qui insulte aujourd'hui la Syrie dans tous ses discours, a bien profité de la présence syrienne au Liban. Le premier ministre M. Siniora était lui-même ministre de 1992 à 2005, jusqu'au départ des syriens. En 1998, M. Siniora a même été accusé de corruption et on allait le mettre en prison. Et ce sont les Syriens qui lui ont sauvé la mise. Ils ont obligé les Parlementaires de l'amnistié car avant il était ministre d'Etat, donc il pouvait être jugé, alors ils l'ont fait nommé ministre pour empêcher qu'il soit jugé. Dans quel pays un gouvernement qui s'est corrompu avec l'occupant peut-il subsister après le départ des troupes d'occupation. Les Américains et le gouvernement de M. Chirac veulent nous obliger à appliquer une démocratie qui ne serait pas acceptée chez eux.

- Vous avez à faire à forte partie...

- Nous souhaitons avoir de très bonne relations avec tous les pays, y compris et surtout comme les Etats-Unis ou la France, mais nous ne voulons pas qu'ils s'ingèrent dans nos affaires.

- On accuse l'opposition de bloquer la situation au Liban.

- Non. Nous voulons au contraire débloquer la situation car il n'y a pas de gouvernement au Liban. L'équipe en place n'a aucun plan économique pour le pays alors que nous sommes endettés de près de 50 milliards de dollars. Aucun budget n'a été présenté. Comment voulez-vous conduire un pays comme cela. Hormis dans le Beyrouth administratif, les régions sont encore soumises à des coupures d'électricités plusieurs fois par jour alors que la guerre a officiellement pris fin voici plus de 15 ans. Et les routes, l'état des routes est déplorable, des gens meurent tous les jours à cause de cela. L'Etat ne fait rien car en fait il n'y a pas de gouvernement.

- L'entente des aounistes avec le Hezbollah tient elle à la personnalité particulière de Hassan Nasrallah?

- Hassan Nasrallah est un homme honnête et le général Michel Aoun aussi. Il faut que l'on profite de l'honnêteté de ces deux hommes pour démarrer un processus de paix et de réconciliation nationale au Liban. On ne peut pas écarter le tiers de la population libanaise sous prétexte que les Américains sont en guerre contre les chiites au Liban. La feuille d'entente signée entre le général Aoun et Hassan Nasrallah n'est pas un remède miracle mais le début de la solution. Le sit-in que nous organisons pour protester contre le gouvernement est aussi un laboratoire d'expérience. Cela permet de mélanger les jeunes de toutes confessions, pour que la méfiance tombe. Ces gens-là ont été séparés des années et des années par la peur l'un de l'autre et aujourd'hui ils sont ensembles. C'est donc bien le début de la solution.

- Et le désarmement du Hezbollah réclamé par l'ONU?

- Tous les jours Israël affirme qu'elle va massacrer les dirigeants du Hezbollah. Israël nous attaque, nous menace. Il y a eu par ailleurs 16 attentats perpétrés au Liban ces dernières années et aucun n'a été élucidé. Comment voulez-vous demander au Hezbollah de désarmer si l'Etat ne joue pas son rôle, s'il n'est pas en mesure de protéger ses citoyens. Cet Etat est faible, corrompu et complote contre sa propre population, comment voulez-vous lui faire confiance? Il faut rassurer les chiites qui se sentent menacés. Vous ne pouvez pas demander à un homme qui a un fusil de déposer son arme si vous ne le calmez pas et ne le rassurez pas. Mais qui pourrait aujourd'hui rassurer les chiites?

- Concernant l'attaque israélienne de juillet dernier. Quel est votre point de vue?

- Auparavant, lorsque Israël menait ses guerres contre le Liban, il bombardait la région chiite en laissant une autre zone de même confession épargnée. Ce qui faisait qu'il y avait un déplacement des populations du Liban-Sud ou de la Banlieue-Sud de Beyrouth vers la Bêkaa par exemple. Là, ils ont attaqué toutes les régions chiites, de la bêkaa au Liban-Sud jusqu'à la Banlieue-Sud, en même temps. Il était clair qu'il s'agissait de provoquer l'exode des populations chiites vers les région chrétiennes. Là, il y avait eu une préparation de certains groupes libanais, dont certains ont toujours eu l'espoir de faire un Etat chrétien au Liban, sur lesquels ont comptait pour faire dégénérer la situation.

- Vous pensez aux Forces Libanaises de Samir Geagea?

- Pas seulement. Donc ils pensaient que les populations chiites allaient se heurter à un blocus, que des bagarres éclateraient. Que tout cela allait aboutir au déclenchement d'une guerre civile entre chrétiens et musulmans.

- Version locale du fameux choc des civilisations?

- Oui, mais là, le général Aoun a tout de suite compris l'enjeu et a travailler pour contrer ces objectifs. De son côté, Hassan Nasrallah avait fait de même. Les chrétiens ont finalement bien accepté les déplacés et ces derniers ont eu un comportement exemplaires. Tout cela c'est passé dans un réflexe de solidarité nationale.

- Quel était le but de la manoeuvre américano-israélienne?

- Le déclenchement d'une guerre civile au Liban était une première étape. Les américains voulaient s'en servir comme d'une porte d'entrée, à travers l'écran de fumée créé par le chaos, comme en Irak, pour avancer des pions vers la Syrie, l'Iran. Le général Aoun a contrecarrer ces plans et je crois que c'est pour cela qu'ils sont furieux contre lui.

Entrefilets

* (n.d.r.l.: à la fin des années 1980, les Etats-Unis préparaient leur première guerre du Golfe et avait besoin de se ménager la complicité ou, à tout le moins, la passivité des pays arabes, dont la Syrie, avant l'opération. Dans ce marchandage, ils ont finalement offert le Liban sur un plateau à Damas qui, pour la première fois le 13 octobre 1990, fut autorisé à bombarder le Liban à l'aide de l'aviation avant d'écraser la région chrétienne où résistait le Général Michel Aoun. S'en suivit 15 ans d'occupation. L'attaque aérienne fit l'objet d'un accord tripartie entre Washington, Tel-Aviv et Damas pour définir le type d'appareil à utiliser, des Sukoy et non des Mig, le nombre d'avions, le nombre de passage et le type de bombes etc...)