De la nature et du bon usage du vide 

 

22/07/2011 Le constat souvent rapporté sur entrefilets.com de l’effondrement en cours du Système américano-occidentaliste suscite parfois une critique irritée qui consiste à dire en substance : «Soit, admettons ! Le Système est faussaire et toxique, il conduit le monde à la ruine, organise le meurtre de l’environnement et du vivant, le dessèchement de la pensée et il semble, en plus, arrivé au bout de sa logique anthropophage. Soit. C’est bien beau de le constater. Mais quelle est l’alternative ?»
La critique est d’autant plus acérée que dans notre essai «La bataille contre le Système», nous préconisons justement comme principal moyen de lutte le plus grand des désordres, c'est-à-dire précisément l’absence totale d’alternative structurée au Système, ceci pour éviter un affrontement symétrique dont l’issue paraît évidente. Exemple : c’est précisément parce qu’ils ne revendiquent rien de précis, ou plutôt tout et son contraire, que des mouvements comme celui des Indignés, ou même du Tea Party, ou même des Anonymous ou Wikileaks sur le Web, deviennent véritablement déstabilisants pour le Système, n’offrant aucune «prise idéologique connue» à l’adversaire qui ne sait dès lors pas les combattre.
Au final, tous les Indignés de la Terre ne veulent au fond qu’une chose : vivre décemment, en sécurité, avec un travail et un toit. Et c’est précisément ce dont l’organisation actuelle du Système les prive et les privera dans une toujours plus large mesure puisque sa nature même l’y contraint.
« Soit. Mais ensuite. Si le Système s’écroule sur lui-même: Le vide ?»
La chute constatée du Système américano-occidentaliste signifie l’effondrement de la puissance américaine, la fin du mythe nauséabond de l’American dream, la fin du dollar. Par extension, cet effondrement signifie aussi l’abolition d’un modèle économique fondé sur la prédation, l’exploitation, les inégalités, la spéculation et l’endettement exponentiel. Avec, comme option haute, la fin d’un modèle sociétal basé sur la dictature du  Tittytainment, du productivisme et du consumérisme.

Le vide n’est pas le néant
Le vide laissé par l’abolition d’un tel Système n’a donc rien à voir avec le néant, loin s’en faut, puisqu’il s’agit de la seule fin d’un modèle qui a donné la preuve de sa toxicité, qui n’est pas en mesure de répondre aux aspirations des peuples et des individus, qui a fait faillite au propre comme au figuré. La seule victoire à mettre à son crédit étant les 30 Glorieuses, qui furent d’ailleurs avant tout le fruit des besoins de reconstruction de l’après-guerre avant d’être le fruit supposé des vertus du Système. Ensuite, tout n’aura été que déclin.
Le vide redouté n’a donc rien à voir donc avec le vide post-apocalyptique et «mad-maxien» que la narrative du Système nous prédit hors sa vertueuse gouvernance, à travers son slogan fétiche TINA (there is no alternative).
Il s’agit bien plutôt la page blanche sur la table de l’architecte, alors même que la table existe, de même que l’architecte et son bureau, de même que la volonté et la capacité de remplir cette page blanche.
Sur la Place de la Puerta del Sol, la Place Tahrir ou la Place Syntagma par exemple, tous les Indignés de la Terre cumulent en effet un savoir fantastique. Il y a des ouvriers, des universitaires, des ingénieurs, des médecins, des philosophes, des mécaniciens, des professeurs, bref, il y a un savoir et des savoir-faire colossaux, mais il y a peut-être aussi et surtout une certaine idée du futur en termes de savoir-vivre et de «savoir-être».
Il n’y a donc aucun doute à avoir sur la capacité des hommes à construire un modèle de société nouveau, peut-être inattendu, faisant l’économie de la puanteur de Wall Street ou de la City dans un premier élan libérateur, pour ensuite replacer l’humain et la vie au cœur de la Cité.
Pour
l’instant, tous les pays, tous les « gouvernements », prisonniers de la folie et de la dette du Système, pratiquent la respiration artificielle sur son cadavre, par peur-panique du vide justement.
Mais ce vide-là, et non le néant, cette page blanche donc, sera la plus féconde des étapes, comme un immense bol d’air, d’oxygène et d’espoir retrouvé.
Et si l’on peut bien imaginer que cette renaissance ne se fera pas sans douleur, on conviendra aussi que la douleur d’un enfantement vaut mieux que celle d’une agonie.

PS : « On dit qu’il n’y a point de péril, parce qu’il n’y a pas d’émeute ; on dit que, comme il n’y a pas de désordre matériel à la surface de la société, les révolutions sont loin de nous. Messieurs, permettez-moi de vous dire que je crois que vous vous trompez... Regardez ce qui se passe au sein des classes ouvrières qui, je le reconnais, sont tranquilles. Il est vrai qu’elles ne sont pas tourmentées par les passions politiques proprement dites ... ; mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales ? N’entendez-vous pas qu’on y répète sans cesse que tout ce qui se trouve au-dessus d’elles est incapable et indigne de les gouverner ; que la division des biens faite jusqu’à présent dans le monde est injuste ... ? Et ne croyez-vous pas que quand de telles opinions prennent racine, ... quand elles descendent profondément dans les masses, elles doivent amener tôt ou tard ... les révolutions les plus redoutables ? »

Alexis de Tocqueville, dans un discours prononcé devant la Chambre des députés le 27 janvier 1848, moins d’un mois avant le déclenchement de l’insurrection ouvrière.