Le coup de stabylo sur un article de Pierre Piccinin qui, dans La Libre Belgique, ose écrire qu'Ahmadinejad et Kadhafi ont peut-être des choses intéressantes à dire... (Arrghhh ! Quelle hérésie ! Au bûcher, hurle déjà la meute !) C’est que l'Occident et ses dociles éditorialistes, penseurs et intellos embarqués (embedded), encagés dans leur formidable complexe de supériorité, planent à des hauteurs stratosphériques où l’on écoute pas, où l’on a que faire du fond des choses, de ce que les autres pensent ou disent puisque, à la fin, il est entendu que seul l'Occident montre la voie, incarne la lumière. Alors pourquoi débattre, pourquoi écouter?

 

Kadhafi, pas si folklorique que ça

 Par Pierre Piccinin

La Libre Belgique, Mis en ligne le 28/09/2009

Curieux reportage, que celui du journal parlé de la RTBF, ce mercredi 23 septembre, évoquant en termes facétieux le discours du chef d'Etat libyen, Mouammar Kadhafi, à la tribune de l'Organisation des Nations unies... Par contre, aucune information sur le fond de son discours. Il est vrai que le bonhomme, "folklorique", " perdu dans ses notes", se serait prêté, pendant plus d'une heure, à une logorrhée sans queue ni tête, dont le contenu ne mérite pas que l'on s'y attarde.

Mais la RTBF n'est pas la seule à avoir passé sous silence ce flot de paroles. La plupart des grands médias internationaux se sont, eux aussi, bien gardés d'y faire écho, préférant épiloguer sur les difficultés rencontrées par M. Kadhafi pour trouver un lieu où planter sa tente bédouine à New York. Et les paroles du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, n'ont pas connu un sort plus enviable : qualifiées d'emblée de profondément antisémites, elles n'ont pas été diffusées, la grande presse ayant choisi de titrer sur l'indignation des délégations occidentales qui ont quitté l'assemblée, certaines, comme la délégation du Canada, ayant même préalablement décidé de ne pas y participer.

En fait de "propos antisémites", s'il a par le passé eu des mots inacceptables, cette fois, le Président iranien s'est surtout exprimé sur le conflit israélo-palestinien : "Comment peut-on imaginer que la politique inhumaine d'Israël en Palestine puisse se poursuivre encore ? Comment les crimes de l'occupant contre des femmes et des enfants sans défense, les destructions de maisons, de fermes, d'hôpitaux, d'écoles, peuvent-ils être soutenus sans condition par certains gouvernements ?", a-t-il demandé. Et, dans la seconde partie de son intervention, prononcée en anglais, M. Ahmadinejad a délivré le message de paix qu'il avait annoncé, concluant : "Notre nation est prête à serrer toutes les mains qui se tendront vers nous."

Quant à M. Kadhafi, il ne fut pas si "folklorique" qu'on a bien voulu le dire : évoquant les injustices sociales qui touchent la grande majorité de la population de la planète, M. Kadhafi a dénoncé la principale cause de dysfonctionnement de l'Onu qui était censée mettre fin à ces injustices en empêchant les guerres et en promouvant le bien-être des peuples, mission dans laquelle, manifestement, l'Onu a échoué. Ainsi, il a pointé du doigt le droit de veto que, dès la création de l'Onu, se sont arrogés les puissants, à savoir les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine qui sont, en outre, les seuls à siéger de façon permanente au Conseil de Sécurité et déterminent ainsi les destinées du monde, selon leurs intérêts et, bien souvent, au détriment des Etats les plus faibles.

Et M. Kadhafi d'ajouter que "le Conseil de Sécurité n'a jamais condamné un de ses membres", de demander alors une enquête sur les grands conflits provoqués par les puissances, comme celui d'Irak ou d'Afghanistan, sur les deux poids et deux mesures qui prévalent toujours dans la question israélo-palestinienne, ou sur l'invasion illégale du Panama par les Etats-Unis, en 1989, aujourd'hui oubliée de tous. Et d'appeler enfin au transfert des prérogatives du Conseil à l'Assemblée générale qui, seule, devrait être souveraine : "En ce moment, vous constituez le décor et ils se moquent de vous; soit nous sommes tous égaux, soit nous nous retirons pour créer une autre organisation", a-t-il conclu, vivement applaudi par une large partie des représentants présents.

Ainsi, pendant que certains s'en gaussaient, chaque mot du leader Libyen était très attentivement écouté par les délégations de nombreux pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie qui, elles, ne rigolaient pas du tout... Kadhafi fut ainsi, l'espace d'un discours que d'aucuns qualifient déjà d'historique, à la tribune de l'Onu, le porte-parole magnifique et puissamment ovationné du Tiers-Monde. Tout autre chose : ces quelques constatations laissent perplexe sur le rôle réel de certains médias...

© La Libre Belgique 2009