Poutine sauve la tête d’Obama
11/09/2013 L’Histoire n’est jamais avare d’ironie lorsqu’elle subit
d’être écrite par des pantins. Et lorsqu’un Obama et un Hollande
prétendent prendre la plume, alors on est certain d’atteindre des
sommets. Et c’est bien ce qui s’est passé dans l’affaire syrienne. Nos
deux compères, emportés dans leurs gesticulations bellicistes, se sont
tout à coup découverts seuls au monde, désavoués par tous – hormis
quelques bédouins et une poignée de salonards parisiens –, ne
sachant plus que faire de leur érection martiale alors que, du côté de
Washington, le Congrès s’apprêtait à porter le coup de grâce politique à
Obama avec menaces de destitution à la clé. Bref, la micro-coalition des
fous de guerre était partie en vrille dans les grandes largeurs.
Heureusement, Poutine est arrivé avec son plan de remise des armes
chimiques syriennes à l’ONU. Un plan tellement improbable, tellement
cocasse, tellement opportuniste, que son acceptation immédiate par le
Bloc atlantiste donne toute la mesure de la panique dans laquelle il
était plongé.
Risques de suicide politique
Une fois de plus, les choses sont allées très vite.
Fin août, chacun était quasiment assuré de voir les Tomahawks US frapper
Damas. Puis ce fut le
lâchage britannique
et la crise d’angoisse de l’hésitant Obama qui
– toujours à la recherche d’un père de substitution le pauvre –,
s’en est allé supplier le Congrès de lui donner sa bénédiction sur fond
de
crise d’hystérie redoublée.
On connaît la suite. Alors qu’un
puissant élan anti-guerre
était en train d’émerger aux Etats-Unis, ledit Congrès s’apprêtait à
voter massivement contre l’opération, désavouant ainsi totalement un
Potus de plus en plus paniqué. Car le désaveu du Congrès aurait mis
Obama devant un choix impossible : soit se coucher et avouer son erreur
et, donc, son impuissance ; soit attaquer malgré tout, comme il l’avait
d’ailleurs suggéré, et risquer
l’impeachment
dont une quinzaine de membres du Congrès brandissait déjà la menace.
Dans les deux cas, un suicide politique.
D’un montage boiteux à l’autre
Heureusement donc, Poutine est arrivé.
Et sa délicieuse solution de prise de contrôle de l’arsenal chimique
syrien par l’ONU vaut son pesant de génie diplomatique.
Sur le fond, la proposition de Poutine n’a aucune espèce d’importance.
Il aurait tout aussi bien pu proposer une campagne de remplacement des
kalachnikovs présentes en Syrie par des frondes en plastique qu’Obama
aurait accepté la chose. Il ne s’agit en fait que d’un montage boiteux
(rien que le processus technique
pourrait prendre 10 ans) qui répond à un autre montage boiteux
(la vraie-fausse attaque chimique
donc, conduite pour le plus probable
par les insurgés eux-mêmes).
C’est que nous sommes là dans le champ de la communication pure mais,
comme chacun a pu le constater, c’est le seul champ de bataille qui
compte vraiment désormais.
Moisson de bénéfices russes
Mais la question se pose : pourquoi Poutine a-t-il sauvé la présidence
d’Obama plutôt que de le laisser mordre la poussière devant le Congrès ?
Sans doute d’abord parce que si le pire n’est jamais garanti, il n’est
jamais impossible non plus. Et même si un vote négatif était survenu au
Congrès, il y avait toujours une possibilité qu’Obama lâche ses chiens
de guerre coûte que coûte, avec le risque de déclencher une guerre
régionale que seuls Russes et Chinois semblent soucieux d’éviter.
Le piège dans lequel se sont enfermés les atlantistes a ainsi offert à
Poutine l’occasion inespérée d’éloigner définitivement les canons
atlantistes de côtes syriennes à bon compte.
Le sauvetage déguisé d’Obama offre aussi à Poutine l’opportunité de
démontrer la supériorité absolue de la diplomatie russe sur les
gesticulations bellicistes des Atlantistes dans l’affaire syrienne. Il
permet enfin d’entériner le retour définitif aux affaires de la Russie
en tant que grande puissance avec laquelle il faut compter.
En résumé, Poutine a fait la démonstration éclatante que la Russie
conduisait une politique structurante à l’échelle mondiale, par
opposition aux poussées hystériques et désordonnées du Bloc atlantiste.
C’est le prix concédé par Obama à Poutine pour son sauvetage politique.
Et maintenant…
Bien sûr, la psychologie des dirigeants du Bloc étant de nature
bipolaire, il est clair qu’ils vont tenter de sauver la face en
annonçant un redoublement de leur soutien aux bouchers
d’al-Nosra
et affiliés en Syrie.
De même, ils vont également tenter de manœuvrer à travers l’ONU pour
décrocher une résolution légalisant des frappes au cas où Bachar ne se
montrerait pas assez zélé dans la restitution de l’arsenal.
Mais il y a toutefois peu de chance que la Russie se laisse enfermer
dans un tel piège. Elle a d’ailleurs d’ores et déjà jugé
«inacceptable»
le projet français de résolution à l'ONU, qui accuse de facto les
autorités syriennes de l’attaque chimiques le 21 août près de Damas ; et
Moscou devrait bien évidemment s’opposer également à tout mécanisme
automatique pouvant conduire à des frappes sur la base d’éventuels
manquements de Damas, manquements dont l’appréciation serait
nécessairement arbitraire de la part du Bloc.
Reste donc l’hypothèse du retour, à terme, à une solution politique avec
la résurrection d’un Genève-2 dont les Occidentaux n’ont jamais voulu,
préférant parier sur la réussite de leur guerre d’usure en Syrie.
Nouvelles attaques chimiques
ou/et nouveau virage ?
Mais un tel retour à la table des négociations résonnerait
immanquablement comme un constat implacable du reflux de puissance du
Bloc occidental, et le signe tangible de l’échec de sa tentative de
domination à coups de flingue de la région (1).
Et là, les spécialistes de la com’ du Bloc vont devoir déployer des
trésors d’imagination pour permettre à ses dirigeants de passer sous les
fourches caudines sans en avoir l’air…
La gymnastique est périlleuse et on ne peut pas écarter la possibilité
d’un énième virage à 180 degrés du Bloc pour rallumer le pétard syrien
si Obama devait réussir à infléchir les doutes du Congrès. Car comme
toujours avec les errements politiques du Bloc, tout et son contraire
restent possibles.
Enfin, le problème que nous avions évoqué dans une
précédente brève
reste posé : à savoir comment les bouchers d’al-Nosra et affiliés vont
réagir à ce qu’ils interpréteront sans doute comme une trahison de leurs
souteneurs occidentaux.
Le Bloc atlantiste a bel et bien ouvert une boîte de Pandore en Syrie,
et il est à craindre que nous n’en ayons pas fini avec les
attaques chimiques sous faux drapeau.
Post scriptum désolé
Le lecteur aura remarqué que nous n’avons rien dit de la
position de la France. Mais c’est qu’il y a si peu à dire, sinon à
relever la tragique insignifiance de cette posture. Le Président-Poire
et son petit Fabius ressemblent de plus en plus à de mauvais acteurs de
série B qui voudraient jouer aux dures, singeant maladroitement le verbe
et la geste de néocons US chez qui, au moins, cette attitude belliciste
paraît «naturelle».
Avec les Hollande et Fabius Brothers à la manœuvre,
tout sonne faux dans cette pantomime parisienne qui risque fort d’avoir
à terme de vraies conséquences pour une France ravalée au rang de
faire-valoir jetable d’une administration US elle-même égarée. La valse
des pantins en cinémascope donc, où des roquets d’agitent pour tenter
d’écrire une Histoire qui leur file visiblement entre les pattes.
Pathétique.
(1) Le Bloc atlantiste cherche depuis des années à casser l’axe de résistance chiite à sa domination au Moyen-Orient que constituent l’Iran, la Syrie, le Hezbollah libanais et, dans une certaine mesure, le Hamas palestinien (la guerre contre le Hezbollah commanditée par les Etats-Unis à Israël s’inscrivait dans cette stratégie). Mais au lieu de briser la Syrie dans une confrontation directe, coûteuse et peu populaire sur le modèle irakien, il a préféré saisir l’opportunité d’instrumentaliser la révolution syrienne en la militarisant dès son début pour plonger le pays dans la guerre civile. La tactique est peu coûteuse (puisqu’essentiellement financée par les monarchie du Golfe) mais lente et incertaine. Car en face, Russes et Chinois se sont alliés pour soutenir le régime en place, et préserver ainsi leurs intérêts stratégiques dans la région (accès à la Méditerranée; fermeture de la porte moyen-orientale aux atlantistes pour éviter une contagion et/ou un débordement vers les zones d’influences russes et chinoises). Et malgré les milliards de pétrodollars déversés dans cette opération de régime-change, les bouchers d’al-Nosra et affiliés commencent à perdre du terrain. D’où l’idée d’un coup de pouce atlantiste plus directe à la faveur de la vraie-fausse attaque chimique orchestrée le 21 août dernier.