Syrie : la réalité sur mesure du Système
28/08/2013 Les vainqueurs ont toujours eu le privilège de (ré)écrire
l’Histoire. Mais désormais, l’hyper-puissance communicationnelle du
Système,
piloté par le Bloc atlantiste,
lui permet de façonner et de créer en continu la réalité dont il
a besoin pour performer. «Nous
sommes un empire
maintenant,
et lorsque
nous
agissons, nous créons notre propre réalité» (1),
avait un jour résumé Karl Rove, principal conseiller de George W. Bush
peu après l’invasion de l’Irak de 2003. La «réalité» sur mesure de
l’époque, c’était la fable des armes de destructions massives et
l’invasion salvatrice du pays. On a ensuite «créé» une nouvelle réalité
pour justifier l’écrasement de la Libye, et c’est le même mécanisme que
l’on observe aujourd’hui en Syrie
avec la vraie-fausse attaque chimique. Le Système a déclaré le régime de
Bachar al-Assad coupable avant même que les enquêteurs de l’ONU n’aient
pu accéder au site. Puis il a mobilisé ses chiens de guerre dans le même
élan pour saturer tout l’espace de cette
«nouvelle réalité» devenu indépassable, indiscutable, et dont nous
sommes désormais tous prisonniers.
Mobilisation générale
Il y a quelque chose de fascinant à voir l’immensité des moyens
déployés pour créer cette nouvelle réalité nécessaire à la poursuite des
objectifs du
Bloc occidental
au Moyen-Orient, c’est-à-dire en l’espèce de donner
un coup de pouce décisif aux
rebelles bisounours
en Syrie à l’heure où ils commençaient franchement à fléchir (2).
Le matraquage est incessant, gigantesque, et utilise toute la puissance
de l’appareil de communication du Système pour saturer tout l’espace,
tout l’horizon :
- Avalanche de vidéos des victimes du gazage en boucle sur tous les JT
du monde (y compris les grossiers
montages où l’on voit le même homme jouer le père anéanti devant des
enfants morts, sauf qu’il le fait sur deux sites différents avec des
enfants différents ; ou celle encore où l’on voit des cadavres d’enfants
qui curieusement changent de place d’une image à l’autre etc.. etc..
etc…) ;
- mobilisation de tous les rampants de la presse-Système pour fournir
une caution «civile» à la narrative ;
- production de preuves aussi spectaculaires qu’invérifiables
(la dernière en date :
conversation soi-disant enregistrées de militaires syriens soi-disant
«paniqués» après l’attaque chimique, et bien sûr soi-disant
authentique) ;
- bref, c’est la mobilisation totale de tout l’appareil
politico-médiatique du Système avec diffusion en continu du même message
à travers tout ce qui produit du son, de l’image ou du texte,
c’est-à-dire à travers tout ce qui peut entrer dans votre tête.
Le Système vous le dit jour après jour, vous le hurle JT après JT, vous
l’impose donc : Bachar est coupable et il «doit être puni» !
«Punir»
«Punir», c’est en effet la dernière trouvaille des spin-doctors
d’Hollande, Obama, Cameron et consorts. On ne va donc pas attaquer la
Syrie, que nenni (nous ne sommes
pas des sauvages tout de même!), nous allons juste
«punir» Bachar al-Assad pour
son «massacre chimique», autre
petite trouvaille sémantique des équipes de com’ des
états-majors-Système.
Là encore, il y a quelque chose de fascinant à voir ces dirigeants se
poser en garants vertueux des règles d’engagement en tant de guerre. Eux
qui partout, au Moyen-Orient, en Asie centrale, mais aussi en Afrique,
ont semé la mort et la désolation pour servir leurs seuls intérêts
stratégiques ou financiers; eux qui soutiennent une armée d’occupation
et d’apartheid en Palestine depuis 60 ans ; eux qui financent, arment et
encadrent
les hordes d’assassins
qui mettent et mettront encore la Syrie à feu et à sang ; eux qui ont
soutenu les pires dictatures à travers le monde pour peu qu’elles les
servent ; eux qui n’ont pas hésité à légaliser la torture, à banaliser
les exécutions extrajudiciaires à coups de drones ; eux qui n’ont pas
hésité à utiliser massivement des munitions radioactives en Irak, eux
qui, enfin, on vient d’en avoir confirmation, ont aider Saddam Hussein
à…
gazer les iraniens.
Alors bien sûr, tout ça, toute cette rhétorique foireuse, ces
casus belli bidons,
toute cette vertueuse narrative, tout ça n’est bien évidemment que
bouillie pour les chats, merde en boîte.
Sauf que la machine avance, inexorablement, vers la petite tuerie
high-tech programmée. On ne discute déjà plus du pourquoi d’une attaque,
négligeable,
mais du quand et du comment…
«Acteurs de l’Histoire»
Retour
donc, en attendant les bombes, sur la citation de
Karl Rove
pour en mentionner la suite, tant
elle synthétise à merveille la psychologie du Système et nous éclaire
sur les processus en marche aujourd’hui :
«Nous
sommes un empire
maintenant,
et lorsque
nous
agissons, nous créons notre propre réalité.
Et pendant que
vous
étudierez cette réalité, nous agirons encore
pour créer de nouvelles réalités que
vous pourrez aussi étudier
(...).
Nous
sommes les acteurs de
l'histoire… et vous,
vous tous, vous resterez cantonnés dans l’étude
de ce que nous faisons.»
PS : fronde égyptienne ?
A l’heure où nous écrivons ces lignes, des informations circulent
dans la presse
égyptienne
sur la possible intention du général Al-Sissi de bloquer le passage du
Canal de Suez aux navires de guerre américains engagés dans une
opération en direction de la Syrie. Si tel devait être le cas, ce serait
un bouleversement complet de la donne au Moyen-Orient pour le Bloc
occidental, bouleversement que nous avons anticipé dans notre
précédente brève.
(1) “We're
an empire now,
and when we act, we create our own reality. And while you're studying
that reality—judiciously, as you will—we'll act again, creating other
new realities, which you can study too, and that's how things will sort
out. We're history's actors…and you, all of you, will be left to just
study what we do”.
(2) Pour
ceux qui ont manqué le début, rappelons que le Bloc atlantiste (dont
Israël est un poste avancé) entend briser le dernier axe de
résistance à la domination occidentale au Moyen-Orient que forment
l’Iran,
la Syrie , le Liban chiite (et ses alliés) et la Palestine (Hamas). Les
opérations menées en Syrie visent ainsi à noyauter Damas pour affaiblir
le Hezbollah libanais et limiter les possibilités de riposte de Téhéran,
qui
reste l’objectif
final.
Pour réaliser sa manœuvre, le Bloc atlantiste s’est allié certains pays
du Golfe et la Turquie notamment. Mais
chacun a aussi son
propre agenda.