Wikileaks : le détonateur ?

01/12/2010 Extraordinaire événement s’il en est, que la publication en quelques mois de ces centaines de milliers de documents «secrets» concernant l’Irak, l’Afghanistan et les dessous de la diplomatie mondiale, par le désormais célèbre site Wikileaks.
Extraordinaire, de fait, puisque ces révélations décrédibilisent massivement l’élite du Système américano-occidentaliste, fait exploser sa réalité virtuelle, ajoutent un immense désordre au désordre ambiant et, donc, contribuent à fragiliser ce Système nihiliste dont tout ce qui peut accélérer l’effondrement
nous ravit évidemment.
Comme un seul homme, l’élite du Système, Département US en tête, s’est donc dressée sur ses ergots pour condamner des révélations dangereuses pour la vertueuse diplomatie occidentale, pour les relations si respectueuses entre les Etats, pour la paix dans le monde, la démocratie, la liberté, bref, pour la narrative habituelle du Système.

Réalité virtuelle pulvérisée
Or cette narrative, cette réalité virtuelle conçue par la machine de communication du Système, vient d’être pulvérisée.
Le contenu précis des révélations de Wikileaks importe peu. Ce qui fait vraiment l’événement, ce qui constitue le possible détonateur d’une phase terminable de cette immense crise à têtes multiples qu’a engendré la toxicité du Système, c’est l’impression générale qui s’en dégage, c’est-à-dire le spectacle d’un immense foutoir, d’un Système soudainement dévasté par le cancer nauséabond qui le ronge, submergé par la bassesse et l’indécence qui forment sa substance réelle sous le masque faussaire de sa vertu affirmée.
Les rois sont nus.
Qu’ils soient «susceptibles et autoritaires», «irresponsables» ou même carrément «fous», ils sont nus.
L’incapacité même du Système à juguler cette hémorragie (*) fait aussi apparaître une dimension inattendue d’un Système pourtant fondé sur l’idéal de la puissance et de la violence: celle de sa faiblesse.
Les rois apparaissent nus, mais aussi faibles et pitoyables dans leurs gesticulations outrées.
Ils sont disqualifiés, illégitimes.

Tentative de récupération des néocons
Bien sûr, le filtre conformiste et pavlovien de la presse-Pravda a été actionné pour tenter de limiter les dégâts, notamment en focalisant l’information sur ce qui pouvait servir la cause du Système.
Concernant l’Afghanistan par exemple, la presse-Pravda a surtout mis l’accent sur le
double-jeu du Pakistan qui soutiendrait les talibans, plaçant définitivement cette puissance nucléaire dans les rangs des ennemis potentiels de l’Occident. Et, de fait, les frappes de l’Otan dans le pays n’ont jamais été aussi intenses. Il est vrai que pour certains observateurs non-agréés du Système, l’abcès de fixation afghan sert surtout de rideau de fumée pour permettre à l’Occident de prendre, à terme, le contrôle de la bombe pakistanaise.
Concernant les dernières révélations, la principale info relayée a été celle pouvant servir les partisans de la guerre contre l’Iran en montrant que la majorité des
dirigeants arabes, et en particulier l’Arabie Séoudite, appelaient de leurs vœux des frappes sur la République des Mollahs. Netanyahou s’est d’ailleurs empressé de capitaliser sur le sujet et l’Iran s’est à nouveau vue désignée comme ennemi public numéro un du monde entier, y compris du monde arabe.
Bingo ?

La vertu du désordre
Et puis quoi ?
Les fous de guerre du Système ont tentés une opération de « damage control », croyant sans doute pouvoir détourner au profit de leur propagande guerrière les révélations de Wikileaks. Fort bien.
Et puis quoi ?
Vont-ils s’appuyer là-dessus pour lancer une énième boucherie contre l’Iran cette fois? Possible, bien que cette possibilité soit d’actualité depuis 5 ans maintenant.
Et puis quoi ?
La diplomatie étasunienne est désormais littéralement paralysée, paralysie qui s'ajoute à celle du Gouvernement Obama depuis les élections mid-terme, avec des perspectives de plus en plus dramatiques pour ce pays sur fond de crise dévastatrice.
La vertu première de Wikileaks, en tant que créateur d’un désordre salutaire, reste donc intacte.
Les dégâts sont irréparables, l’emballement inévitable.
La crédibilité du Système, en tant que détenteur de la vérité, est ruinée.
Sa complexité a créé des brèches immenses d’où la réalité peut s’échapper, enfin.
La puissance du Système est donc devenue sa faiblesse, son impuissance.
Wikileaks va donc continuer son travail de sape, ou ses clones, ou ses avatars, appuyés par les milliers de médias alternatifs ou dissidents qui se multiplient comme des termites dans les interstices des rouages du Système.
Mais cette dynamique n’est qu’un moyen, non une fin dont les acteurs seraient sensés représenter un courant destiné, à terme, à se substituer au Système.
Tout cela est anarchique, révolutionnaire d’une certaine façon, spontané sûrement, désordonné surtout, et c’est ce qui fait la force irrésistible de cet élan.
Le désordre grandit donc, irrémédiablement.


*
 Le principe de sécurité nationale aurait voulu que face à la menace représentée par ces révélations annoncées et répétées, le patron de Wikileaks soit « suicidé » ou foudroyé par quelque Bretzel ou parapluie bulgare, comme il sied dans les affaires où la Raison d’Etat est questionnée.
Or là, rien. Même pas une grosse grippe aviaire ou H1N1 avec complications pulmonaires.
On objectera que personne n’aurait cru alors à une mort naturelle. Soit. Mais on objectera en retour que l’histoire prouve qu’un soupçon d’assassinat n’a jamais tué personne, si l’on peut dire. Et que lorsqu’il s’agit de raison d’Etat, il est un principe immuable qui veut que de deux maux, on choisisse le moindre.
Et puis, sans même aller jusqu’à son assassinat, l’arrestation du bonhomme et la saisie de ses serveurs au motif de la Sécurité nationale aurait été parfaitement vendable aux opinions publiques.