Le Liban otage d’un nouveau Grand Jeu
12/02/2008 Une fois de plus, des enjeux régionaux servent de toile de fond
à la crise libanaise. Les protagonistes principaux sont connus. D’un côté
Washington, Israël et l’Arabie Séoudite. De l’autre l’Iran et la Syrie.
Pour Washington, il s’agit coûte que coûte d’asseoir son influence au Pays
du Cèdre et, pour ce faire, de favoriser par tous les moyens l’émergence d’un
gouvernement « ami ». D’où un soutien inconditionnel au premier ministre Fouad
Siniora et à ses alliés de la majorité contre une opposition formée d’un général
Michel Aoun incontrôlable, et de son allié du Hezbollah, bête noire des
Etats-Unis. En plein bras de fer avec l’Iran, Washington refuse bien sûr de
laisser un parti chiite peser sur l’échiquier politique au Pays du Cèdre, quant
bien même les chiites représentent plus du tiers de la population. Dès lors, les
émissaires américains n’ont eu de cesse d’inciter la majorité à ne faire aucune
concession à l’opposition, participant ainsi activement au blocage politique
actuel.
Côté israélien, l’intérêt bien compris de l’Etat Hébreu est de voir cette
domination américaine s’accomplir au Liban, avec pour objectif final le
désarmement du Hezbollah que l’aventure militaire de juillet 2006 n’a fait que
renforcer. A terme, Israël espère aussi qu’un gouvernement libanais « ami » se
résoudra le moment venu à accepter l’installation définitive des quelques
300'000 Palestiniens réfugiés sur son sol, et dans une ultime phase signera un
Traité de paix avec Tel Aviv, achevant ainsi de sécuriser la frontière
nord de l’Etat hébreu.
Enfin, pour l’Arabie Séoudite, contrarier l’émergence d’une force
politique chiite dans la région s’inscrit dans sa lutte d’influence contre
l’Iran pour le leadership musulman. Depuis la disparition de l’Irak, contrepoids
naturel à la puissance perse, Téhéran tente en effet de reprendre sa place
perdue de grande puissance régionale. Sur un plan idéologique, les prises de
positions extrêmes du président Ahmadinejab envers Israël et les Etats-Unis,
puis la « divine victoire » du Hezbollah contre l’Etat Hébreu ont créé une
situation nouvelle où l’on a vu la rue sunnite prendre parti avec ferveur pour
ces nouveaux « héros », fussent-ils les ennemis héréditaires de la Sunna. Et
toujours à contre-pied de gouvernements arabes pro-occidentaux en totale rupture
avec leur opinion publique sur ces questions. De Riyad au Caire en passant par
Amman, l’on avait par exemple initialement condamné l’attaque menée contre
Tsahal par le Hezbollah, prélude à la guerre de juillet 2006, avant de se
rétracter sous la pression populaire.
Leur intérêt bien compris étant de diviser pour régner, les Américains se
dépensent sans compter depuis des mois pour redonner toute sa vigueur à la
Fitna, cette première grande rupture qui vit l’Islam se scinder en deux courants
antagonistes, et donc convaincre les capitales arabes sunnites que leur
véritable ennemi est désormais l’Iran chiite et non… Israël.
Un point de vue parfois tout de même difficile à faire passer comme lorsque le
secrétaire américain à la Défense avait déclenché les rires de l’assistance en
déclarant à Manama, lors d’un forum organisé par l’Institut international
d’études stratégiques (IISS) qu’« Israël en tant que puissance nucléaire
présumée, ne représentait pas une menace pour les pays du Golfe comme l’Iran ».
De l’autre côté de l’échiquier, l’Iran et la Syrie cherchent bien sûr à
contrer l’émergence d’un leadership par trop pro-américain au Liban. Damas ne
veut tout simplement pas voir le Pays du Cèdre transformé en porte-avion US.
Quant à l’Iran, même s’il ne contrôle pas un Hezbollah largement « nationalisé »
depuis la fin de la guerre, il n’en a pas pour autant abandonné ses aspirations
pan-chiites et le soutien à la milice lui permet à la fois de contrarier les
plans américains et de consolider la visibilité du chiisme comme nouvel acteur
régional désormais incontournable.
L’isolement international de Téhéran, soumis à forte pression sur le
dossier nucléaire, et de Damas, également dans la ligne de mire américaine dans
sa tentative de façonnage d’un « nouveau Moyen-Orient », les a enfin tout
naturellement jeté dans les bras l’un de l’autre, chacun étant à la recherche
d’un décloisonnement stratégique.
C’est au Liban que les protagonistes de ce Grand Jeu s’affrontent
aujourd’hui directement, profitant d’un système politique encore marqué par le
féodalisme, dominé par les intérêts partisans et où un certains nombres
d’ex-chefs de guerre, manipulables à souhait, semblent toujours prêts aux pires
aventures.
Dans ce contexte, seuls les partisans ou les naïfs peuvent prétendre
savoir qui est derrière les 22 attentats perpétrés au Liban depuis 2005, sans
qu’aucun ne soit jamais élucidé.
Ce qui ne laisse pas de surprendre dans un pays où la police est épaulée par à
peu près tous les Services de Renseignement occidentaux, et les dotations
techniques dont ils disposent.
Nous renvoyons ici à une
interview
d'Yves Bonnet,
ancien chef de la DST
(
service de sécurité intérieure de la France),
qui se passe vraiment de commentaires...