les Etats-Unis sont solubles dans le Tea party 

10/03/2010 L’hypothèse d’un réel effondrement des Etats-Unis peut apparaître farfelue, excessive, improbable mais surtout du fait qu’elle est inenvisageable. Inenvisageable car elle heurte de plein fouet nos psychologies habituées, éduquées serait plus juste, à confondre l’image des Etats-Unis avec la réalité des Etats-Unis. Il faut admettre que 60 ans de propagande hollywoodienne servie par des moyens de communication inédits dans l’histoire de l’humanité ont produit un effet absolument dévastateur sur notre perception du monde, et des Etats-Unis en particulier. Il y a d’ailleurs fort à parier que si chacun d’entre-nous se livrait, à cet instant, au petit exercice de fermer les yeux pour « visualiser » l’Amérique, la plupart d’entre-nous verraient s’imposer à leur esprit l’image de la Maison-Blanche avec bannière étoilée flottant au vent, où toute autre « mise en scène » parfaitement héroïque et spectaculaire, c'est-à-dire purement hollywoodienne. C’est qu’il est devenu tout simplement impossible de percevoir intuitivement l’Amérique autrement qu’au travers de l’artefact, de l’image construite de l’Amérique.
Aujourd’hui, l’électrochoc que constitue la montée en puissance phénoménale du Tea Party lève un coin de l’image sur la réalité américaine. Car ce que les commentateurs de la presse-Pravda tentent désespérément de réduire à un mouvement extrémiste est au contraire le germe d’une contestation profonde contre le pouvoir central washingtonien qui réunit toutes les sensibilités de l’échiquier politique dans un désordre complet, fabuleux, fantastique, qui est précisément la marque d’une authentique révolte populaire. Une révolte puissamment centrifuge dirigée contre le pouvoir central. Cette lame de fond vient désormais sérieusement étayer l’hypothèse d’un effondrement du système américaniste, si tant est qu’on la replace dans un ensemble d’éléments, dans une chronologie que la réalité virtuelle tient précautionneusement à l’écart de ses pixels.

1)     La fragilité d’une construction purement utilitaire Les Etats-Unis ne sont pas une nation. Ils ne sont pas une construction héroïque adoubée par l’Histoire. Il n’y a pas d’âme nord-américaine car il n’y a pas de référent mystérieux ou légendaire en prélude à la naissance de ce pays. Les « pères fondateurs » de la supposée « nation » américaine ne sont ni des figures historiques ni des personnages de légende. Ce sont des avocats, des juristes, des hommes d’affaires.
Qui plus est, les émigrants qui ont rejoint le « Nouveau monde » l’on fait dans un acte de rejet de leurs racines européennes, dans un acte de rupture avec la civilisation, et donc avec l’Histoire elle-même (cf  American parano, de Jean-Philippe Immarigeon). Ensuite, l’unification du pays fut, d’une part, le résultat d’une adhésion contractuelle volontaire d’un certain nombre d’Etats à un pouvoir central, c'est-à-dire sur la base de l’intérêt particulier et non du sacrifice pour le bien commun, puis, d’autre part, de l’obligation faite à d’autres Etats par la violence (guerre de sécession) de rejoindre cette alliance. Les Etats-Unis sont donc une construction purement utilitaire, un conglomérat en quelque sorte où l’on est davantage actionnaire que citoyen. Le ciment qui prétend unir les Etats-Unis est donc d’essence avant tout violente et mercantile.
Symbole à la fois fondateur et ultime de la fragilité de l’ensemble, cette construction utilitaire flotte qui plus est sur une terre volée. L’assemblage nord-américain ne peut en effet même pas prétendre planter ses racines dans une terre qui lui appartiendrait puisque celle-ci fut arrachée à ses vrais propriétaires par le génocide des nations indiennes. Là encore, l’analogie avec un conglomérat dont l’existence est purement juridique, contractuelle, est flagrante.
Pour le reste, pour la fable, l’artefact, le mythe de la « nation », il s’agit de communication pure, d’image, sur l’exact modèle de ce que fait une entreprise pour se doter d’une identité visuelle. Un mandat confié à la plus riche et la plus puissante des agences de propagande : la machine hollywoodienne.

2)     La ruine La crise économique qui frappe les Etats-Unis aujourd’hui est sans précédent. Il ne s’agit pas d’une récession conjoncturelle, mais d’une crise systémique, de la faillite d’un système dont la dette publique abyssale est le principal témoin. Les Etats-Unis sont aujourd’hui insolvables, ruinés et ne doivent leur survivance provisoire qu’à l’absence de limite à leur endettement, et bien sûr à la planche à billets. Aujourd’hui, les créanciers chinois et Russes, et dans une moindre mesure certains pays européens, ont compris la mécanique en marche et se préparent à l’après, d’où leur clémence vis-à-vis de leur débiteur. Mais en même temps comme dans n’importe quel système économique, ce sont eux, les créanciers, qui détiennent d’ores et déjà le vrai pouvoir. Economiquement parlant, les Etats-Unis sont un cadavre sur lequel on pratique la respiration artificielle.

3)     Le reflux de la puissance militaire Avec un budget total de la défense qui frise les 1000 milliards de dollars, les Etats-Unis ont développé une machine de guerre qui, dans l’idéal, devait leur permettre de jouer les gendarmes à l’échelle planétaire (750 bases militaires américaines dans 50 pays et 255 000 soldats stationnés à l’étranger, dont 116 000 en Europe et près de 100 000 au Japon et en Corée du Sud). Sauf que là non plus, rien de va plus. Le Pentagone épuise l’armée américaine en la noyant sous des équipements aussi inappropriés qu’inefficaces au regard de la nature asymétrique des conflits d’aujourd’hui et, surtout, se montre incapable de s’y adapter. C’est le paradoxe le plus savoureux du technologisme dans lequel est enfermé le Pentagone. Ce moment où l’hyper-puissance technologique quitte le champ des applications possibles offert par le réel, et se transforme alors en impuissance. Résultat : échec sur tous les fronts. Hier l’Irak, aujourd’hui l’Afghanistan. Demain l’Iran ?
Le reflux de la puissance militaire US est aussi spectaculaire. Par exemple, l’U.S. Navy, qui était proche d’atteindre les 600 unités de haute mer dans les années 1980, est aujourd’hui à beaucoup moins de 300 unités. Les problèmes de déploiement de troupes sur le théâtre d’opération afghan en dit également long sur les capacités réelles de l’armée américaine d’aujourd’hui. Partout, la paralysie domine. La fameux programme JSF, le soi-disant avion de combat du futur, est toujours perdu dans les labyrinthes du Pentagone devenu incapable, malgré des crédits faramineux, de produire la chose.

4)     Un pouvoir central brisé « Washington is broken » est devenu une rengaine entonnée y compris…. à Washington. Les ailes démocrates et républicaines du parti unique n’arrivent même plus à sauver les apparences. La corruption a atteint un degré tel que les bananas républiques sud-américaines apparaissent en regard comme des modèles de vertu. Au final, Washington pompe les revenus des Etats de l’Union pour financer un train de vie somptuaire sans que lesdits Etats tirent réellement bénéfice de cette allégeance. Nombre d’entres-eux déjà au bord de la faillite et craignant le début de troubles sociaux, menacent aujourd’hui de suspendre le paiement des taxes fédérales. Le pacte fondateur de la construction utilitaire étasunienne est donc désormais rompu, et Washington a perdu toute légitimité.

C’est sur ce terrain miné qu’entre en jeu la lame de fond du Tea Party, son désordre centrifuge potentiellement dévastateur. Car seul un tel désordre, qui renvoie dos à dos démocrates et républicains, peut venir à bout du Système. Intuitivement, les contestataires perçoivent bien que le pouvoir central washingtonien, son fonctionnement, sa nature profonde, est l’épicentre de la crise qui ravage le pays (et accessoirement le monde). Qu’il EST la crise. Tea Party représente donc peut-être le premier craquement, la fissure initiale du système américaniste. Tout cela pourrait aboutir si ce n’est à des velléités sécessionnistes, du moins à des revendications d’une beaucoup plus large autonomie de certains Etats de l’Union vis-à-vis du pouvoir central. Dans tous les cas de figure, cela signifierait un effondrement de la puissance étasunienne.